Adishatz,

Les fortes températures qui invitent le plus grand nombre à chérir l'ombre me fournissent un excellent prétexte à vous parler de la saison des morilles 2022 qui fut la nôtre. Il s'agit de la première saison complète après deux années d'interdictions et restrictions absurdes et de clandestinité. Je pense que beaucoup d'entre nous en ont profité sans modération en espérant que la liberté d'aller et de venir qui est un des principes de base de toute démocratie digne de ce nom ne soit plus mise en suspens à l'avenir...

Après une fin d'hiver particulièrement douce et plutôt sèche, cela devient une habitude depuis 2019, les processionnaires des ripisylves étaient aux aguêts dès les premiers jours de mars car un démarrage précoce n'était pas à exclure. Finalement j'ai trouvé mes premières, minuscules, le 19 mars, dans le sol sablonneux autour d'un frêne, le même que l'an dernier, mais avec 5 jours d'avance seulement par rapport aux années précédentes. En basse montagne nos premières trouvailles de morchella esculenta sont contemporaines.

Cette saison 2022, très attendue de mon côté, a été un peu meilleure que sa devancière, elle-même déjà en progrès par rapport aux très inquiétants millésimes 2019 et 2020 sur ma morillère étalon. Quelques morilles sont revenues sur la rive droite de la station où aucune ne s'était montrée l'an dernier. La pousse s'est effectuée en deux temps, une première levée entre le 19 mars et le 2 avril consécutives aux précipitations survenues durant les trois premières semaines de mars, et une deuxième en première décade d'avril, déclenchée par les giboulées de grésil et de neige fondue ainsi que les gelées très sévères des tout premiers jours du mois. L'optimum de la pousse étant atteint le 8 avril. Passée cette date avec le rétablissement de conditions beaucoup plus sèches et l'avènement des premières chaleurs, il devient quasiment impossible d'y couper au fil des années, ont accéléré la maturation des mitres et mis fin aux naissances. De sorte que lors de ma dernière visite, le 15 avril, je ne dénombrai plus que 6 morilles supplémentaires, pour un total annuel de 80, un des meilleurs depuis le début des années 2010 qui ont vu une baisse sensible des effectifs en plaine. Dans les stations voisines de quelques kilomètres et dont je reparlerai plus bas, les morilles ont tiré leur révérence vers le 21 ou 22 avril, là où les écosystèmes ont conservé suffisamment de fraîcheur.

Plus haut en montagne, alors que les morilles communes et les blondes ont été particulièrement en vue en dessous de 1000 mètres avant le 15 avril, le démarrage des morilles coniques aux mêmes étages a été spectaculaire en deuxième quinzaine du même mois. Il semble qu'il y ait eu deux pousses de morilles noires, une première, jolie mais assez classique, initiée avant les frimas saisissant des premiers jours du mois, et une autre, beaucoup plus fournie, impressionnante même visuellement, après cet intermède de grand gel et de neige. Les tout derniers jours du mois d'avril et la première décade de mai ont été grandioses au-dessus de 1400 mètres. Et on peut regretter que la vague de chaleur précoce survenue à partir du 10 mai ait coupé les ailes à toutes ces belles qui gravissaient les pentes vers 1600, 1700 et 1800 mètres. De mon point de vue, la saison des morilles coniques a été grandement amputée et écourtée au delà de 1600 à 1700 mètres, nous en trouvâmes fort peu au-delà, et on peut même se demander si la chaleur leur a laissé le temps de naître. Il n'en demeure pas moins que la saison 2022 fut exceptionnelle là-haut.

Radioscopie des morilles en Béarn des Gaves...

Cette première saison des morilles en liberté totale revêtait, à titre personnel, une importance capitale. En effet, suite à ma bifurcation professionnelle, voila deux ans que je reporte un projet qui me tient fortement à coeur, celui d'une radioscopie la plus exhaustive possible de la morille dans mon secteur du Béarn des Gaves au sens large, aux mois de mars et d'avril, à cause des confinements. Les différentes espèces, mais aussi les écosystèmes et les effectifs.

Il en résulte des centaines de kilomètres de marche entre mi-mars et mi-avril, des dizaines de kilomètres de gaves et affluents passés et repassés au peigne fin, jusqu'aux falaises et aux berges les plus encombrées, depuis Espiute et Narp en amont jusqu'à Saint Pè de Lèren et Lèren en aval. Entreprise particulièrement ardue mais il fallait bien que quelqu'un s'y collât un jour...

Que les ramasseurs à l'affût ne se bercent point trop d'illusions ! Hormis quelques placiers généreux disséminés dans l'immensité et les broussailles, personne ne vivra du commerce des morilles cueillies chez nous. j'ai preque exclusivement trouvé de la morille fluviale (morchella fluvialis), une espèce originaire de péninsule ibérique, dont les effectifs dépassaient rarement la dizaine par station, et quelques morilles blondes en remontant les grands gaves. En aval d'Andrein sur le Gave d'Oloron, les mitres sont vraiment très rares.

Au final, une bonne dizaine de nouveaux placiers mis à jour, de précieuses données collectées et la réalisation d'un projet de longue date qu'il me conviendra de compléter au printemps prochain car les conditions extérieures m'ont empêché de visiter quelques portions de berge.

Adishatz !