La saison des champignons 2022 (compte rendu et analyses...)
La saison des champignons 2022
Il m'est très difficile d'écrire un compte rendu de l'année écoulée sur un ton badin et il ne faut pas chercher plus loin pourquoi je publie cet article aussi tard. Trop de choses sont advenues, tant de signaux en apparence contradictoire ont été envoyés et je ne sais pas si la plupart des gens autour de nous peuvent comprendre de quoi il en retourne en réalité...
Le mois de janvier assez froid et sa litanie de gelées semblent avoir eu quelques bienfaits sur le printemps des ascomycètes. Pour la première fois depuis longtemps les effectifs de pézizes veinées, dont les cupules étaient visibles dès le mois de février, sont en hausse, c'est vrai aussi, dans une moindre mesure pour les morillons.
Les premières morilles, pressées par une fin d'hiver méconnaissable, étaient visibles dans certains placiers aux alentours du 19 mars. Il semble qu'il y ait eu (en plaine) une première pousse, modique, à la croisée des mois de mars et d'avril. Puis une deuxième, plus dense, à partir du 7 ou 8 avril, probable réaction à la sévère vague de froid tardive des premiers jours du mois. Habitude dont on se passerait, la pousse de nos chères mitres a cessé dans la plupart des placiers de très basse altitude après le 10 ou 15 avril car les températures remontent trop vite et trop fortement ces dernières années. Et chaque année trop tôt, chaque année de plus en plus tôt, nos espoirs se reportent vers les vallées et les cîmes où les conditions climatiques favorables perdurent quelques semaines de plus.
Dans ma morillère le résultat de la saison est assez réconfortant, les effectifs remontent lentement depuis 2021 et cette fois, quelques morilles ont reparu dans des placiers dévastés en 2018. Toutefois on reste nettement en deçà des millésimes des années 2000.
Ce regain des ascomycètes printaniers coïncide avec une autre excellente surprise, un retour tout aussi éclatant qu'inespéré des mousserons dans mes paysages familiers. Un mois d'avril de gala, une farandole de divins bossus quand on n'y croyait plus... Certaines mousseronnières défuntes n'ont pas ressuscité mais d'autres ont éclos. Curieusement, les calocybes furent d'une insigne rareté plus haut en montagne à partir du mois de mai. Une fois n'est pas coûtume.
Quelques semaines auparavant, là- haut, l'entame de la saison des morilles "noires" s'est avéré époustouflant. Là encore il semble que la vague de froid des premiers jours d'avril ait eu l'effet d'un catalyseur car lors de nos premières virées en deuxième quinzaine nous avons pu observer quelques magnifiques coniques visiblement adultes et tout autour des myriades de morilles liliputiennes qui venaient de naître. La saison des morilles coniques 2022 a battu des records jusqu'en fin de première décade de mai avant que, à l'instar de leurs consoeurs des plaines quelques semaines plus tôt, elles ne fussent empêchées par l'avènement des premières chaleurs, prémisses d'un terrible été dont nous aurons à reparler. J'eus encore le bonheur de dégoter trois ou quatre morilles "noires" vers 1600 mètres à la mi-mai, à l'ombre, en compagnie de "blondes", mais il est fort probable que le mycélium n'a même pas eu le temps de fructifier à de plus hautes altitudes tant la poussée de fièvre fut prompte à gagner les étages.
De ce que nous pûmes en observer, la saison des hygrophores de mars fut bien plus piètre que celle des morilles, comme son nom l'indique ce champignon est adepte de l'eau et le printemps 2022 fut caractérisé par de trop longues périodes de sécheresse.
C'est le 15 mai, ni trop tôt ni trop tard, que m'est apparu le premier cèpe et sans coup férir nos chers boletus sont entrés dans la danse du cagnard. Dès le 21, lancé dans une randonnée à la fraîche avec dans l'idée de trouver deux ou trois aestivalis pour améliorer mon repas dominical, j'ai pris de plein fouet une pousse monstrueuse sur un promontoire peuplé d'une bonne vingtaine de chênes rouges. Il y avait là une dizaine de kilos de cèpes dont la moitié d'âge trop avancé restera sur place. Une telle levée aussi tôt en saison ne manqua pas de m'interroger. Car sans rien pouvoir prouver je suis intimement persuadé que ce champignon, souvent pris de haut par les puristes, a quelque chose d'un lanceur d'alerte...
Les cèpes ont continué de se montrer, le plus souvent à l'unité et espacés de plusieurs jours, dans la traversée de cette fin de printemps et de ce début d'été trop chauds et trop secs. Certains chapeaux marrons ont même survécu à la première canicule de la mi-juin et il a fallu attendre le 22 juin pour que la saison se mette en pause pour quelques jours...
Cependant, les pluies orageuses significatives de la deuxième ce même mois ont déclenché une nouvelle pousse significative dès le 30. Les cèpes se sont engouffrés dans la brèche ouverte entre les deux vagues de chaleur et se sont multipliés jusqu'au 9 juillet, croissant à grande vitesse pour libérer leurs spores avant que la hausse des températures qui s'est accélérée à cette date ne leur soit fatale. Quelques survivants trainaient encore dans les bois jusqu'à la veille de la fête nationale alors que sortaient de rares oronges.
Comme on pouvait s'y attendre de telles conditions climatiques nous ont privés de notre lot habituel de girolles, lesquelles ont attendu la Toussaint pour reparaître, bien timidement, dans les bois.
À la fortune des orages du 15 août mon terroir s'est signalé par une distribution extrêmement inégale de l'activité fongique. Quelques secteurs plus arrosés ont hérité d'une très belle pousse de têtes noires suivies de quelques oronges jusque dans les premiers jours de septembre, notamment certains bas-fonds. D'autres où les pluies furent moindres ont vu très peu de cèpes mais quelques jolis bolets appendiculés, plus adeptes de ces conditions très arides. À noter enfin que cette dernière quinzaine d'août a vu les espèces thermophiles, notamment les grands bolets des beaux jours, surinvestir les fonds de ruisseau comme rarement.
En attendant les pluies diluviennes de la deuxième quinzaine le mois de septembre s'est avéré d'une grande indigence fongique car la sécheresse et la chaleur ont promptement refermé la parenthèse d'août et l'occasion est donnée d'ajouter que malgré des conditions assez ressemblantes les oronges n'ont pas réédité leur prodige de septembre 2020.
Curieusement, et comme je m'y attendais un peu ce sont les Marteroets ou cèpes de Bordeaux qui se sont montrés en premier à l'aube de la grande pousse, dans l'un des rares placiers de ma connaissance où cet exploit me semblait possible tant les sols béarnais étaient encore élevés en températures. Les premiers cèpes thermophiles apparaissant le 8 octobre. En moins d'une semaine la montée en puissance de la pousse fut vertigineuse, presque exponentielle. De telle sorte que les chiffres donnaient le tournis et j'ai dû cesser de différencier les cèpes noirs des cèpes d'été dans mes recensements. Il y avait des cèpes absolument partout, y compris dans des placiers qu'on croyait perdus depuis les années 1980, des voitures et des chercheurs aussi. Ce n'est qu'après le 18 octobre que la pousse entreprit de décliner, de plus en plus rapidement, mais on était monté tellement haut qu'il en poussait encore bien assez pour que nous y trouvions notre plaisir quotidiennement. Le dernier cèpe d'été m'apparaissant le 4 novembre. Je note d'ailleurs qu'il n'y a pas eu, du moins à ma connaissance, de petite repousse en novembre contrairement à ce qui était advenu en 2020.
Les oronges n'ont pas réellement pris le relai des cèpes thermophiles même si chacun a pu en trouver suffisamment pour son plaisir, la dernière en date remontant au 14 novembre pour ma part. Pas plus que les cèpes de Bordeaux qui se sont contentés d'accompagner leurs cousins tout en restant très en deçà de leurs effectifs. À ce sujet, dès le mois d'octobre j'observais que les Marteroets ne s'étaient montrés que dans les placiers les plus frais, les pentes exposées nord et conservant mieux l'humidité. Mais étaient absolument invisibles sur les hauteurs et les versants sud. La chose m'intriguait assez mais il faisait encore tellement chaud et tellement sec que je misais sur une mise à niveau entre les placiers avec les pluies de novembre. Quand bien même à cet instant de la saison les effectifs des espèces d'arrière-automne, chanterelles, pieds-de-mouton, trompettes des morts, envoyaient déjà de graves signaux de panne sèche. Seuls les coulemelles et à fortiori les agarics de toutes sortes, qui formaient des colonies impressionnantes sur les talus des routes mais aussi dans les prés et dans les bois depuis la dernière décade d'octobre jusqu'à fin-novembre semblaient en mesure de soutenir la comparaison avec les cèpes d'été et les cèpes noirs.
La suite et la fin de la saison des cèpes, l'apothéose, le bouquet final tant espéré des Marteroets a foiré magistralement. Du moins dans mes terres. Signature d'un authentique sabotage météorologique car si tous les connaisseurs s'accordent pour dire que le cèpe de Bordeaux est un sacré gaillard taillé pour triompher des premières gelées et même tirer parti des fortes pluies de l'arrière automne, il n'en reste pas moins un cèpe, et son mycélium ne s'est jamais réellement remis des 100 mm de précpitations tombés en 36 heures seulement à la mi-novembre, alors qu'on pouvait voir poindre ses tout premiers rejetons. Preuve de sa résistance et de sa bonne volonté, il y eut bien deux nouvelles tentatives de pousse, vers le 25 novembre, et surtout après le 9 décembre mais cette dernière coïncida avec la vague de froid du weekend suivant et malgré quelques beaux sujets, une semaine plus tard plus rien n'y paraissait. Le plus souvent il fallut donc se contenter de quelques Marteroets à l'unité, ce qui malgré des conditions radicalement différentes rapproche fortement le millésime 2022 du millésime 2021. Là encore, ce qui m'inquiète un peu c'est que les placiers bien exposés ou en versant sud, dont certains excellents à l'accoutumée, n'ont pas exhibé le moindre cèpe de Bordeaux de l'automne.
Cette bizarrerie ne fut pas l'apanacée du seul roi des cèpes. Finalement de nombreuses espèces réputées ne se sont jamais montrées de l'automne et je m'en inquiète un peu. Les chanterelles en tube sont introuvables, de rares trompettes de la mort ont trouvé refuge fin octobre dans le talweg d'un ruisseau, à l'humidité, et les pieds de moutons, extrêmement localisés jusqu'à mi-novembre semblent un peu en reconquête ces derniers jours. D'autres espèces comme les clitocybes géotropes ont déserté leurs places les plus ensoleillées (bords de route, talus) mais ont littéralement foisonné dans les veines des cours d'eau et les bas-fonds. C'est aussi le cas des hygrophores des prés qui sont à l'heure où j'écris totalement invisibles sur les talus des petites routes comme celles d'Orion ou d'Oràas mais poussent presque en continu près de certains cours d'eau.
De toute évidence l'été monstrueux dont nous ressortons a rudement secoué le règne fongique en Béarn comme dans le reste de la Gascogne. Les émotions soulevées par le tsunami de cèpes thermophiles, totalement prévisible, dissimule à beaucoup ce sombre constat et sans verser prématurément dans le fatalisme et le pessimisme il conviendra de scruter attentivement le comportement et la réaction de toutes ces espèces dès cette année 2023, à condition bien sûr que celle-ci ne réitère pas, ou pire, ne pousse pas plus loin les excès de sa devancière. Bien entendu, il me tarde déjà l'automne pour jauger l'état de santé du mycélium des cèpes de Bordeaux car au sortir de deux saisons avortées il se devrait de réagir... Vigoureusement !
Adishatz !