Saison des champignons 2022 : les cèpes me mettent l'alarme à l'oeil...
Adishatz,
Il flotte en cet été aux flammes assassines, aux matins rougeoyants des fumées girondines et journées enfiévrées d'étuves ibériques, un air d'effondrement, de chaos systémique. Et je ne saurais dire, de la chaleur intraitable qui pousse ceux qui le peuvent dans leurs retranchements ou du caractère de prime abord plus léger de mon sujet, ce qui l'emporte dans la gêne que j'éprouve à vous parler de cèpes. Et pourtant, je n'ai pas attendu ces heures terribles pour mesurer à quel point ils ne poussent jamais aussi bien que lorsque le monde est sur la brèche, que les sylves ont le gosier sec et le ventre en feu.
Si mon premier aestivalis de l'année, découvert le 14 mai, n'a pas battu des records de précocité, quelques jours plus tard, le 21 mai, alors que les thermomètres gascons flirtaient déjà avec les 35 degrés, et que les dernières pluies significatives remontaient au 24 avril, j'ai pris de plein fouet la montée en puissance d'une saison que rien ne laisser présager. Ce samedi soir, désireux de me dégourdir les jambes et parce que quelques trouvailles isolées me semblaient possibles à cet endroit, j'ai pris la direction d'un promontoire de grands chênes à moins de 5 kilomètres de mon domicile. Comme j'approchais du placier je fus alerté par une odeur caractéristique de bolets putréfiés. Toutefois, la première vision sur place fut celle de cèpes en parfaite santé. Et d'emblée je fus un peu ébahi, sonné, car il y en avait partout, des jeunes, des beaux, des sénescents véreux et des pourris. Il y en aurait eu pour 10 kg sur un tout petit périmètre mais je me contentai de prélever les valides, une bonne moitié. Je n'avais jamais observé une telle pousse de cèpes au mois de mai, même en 2015, et c'est aussi la première fois que je fais quelques conserves avant juillet. La vigueur de cette pousse précoce ne manque pas d'interroger tout autant qu'elle laisse admiratif devant les conditions climatiques actuelles.
Dans ce contexte tout aussi criant que durable de manque d'eau, les cèpes, bien qu'en moins grand nombre, ont persévéré au cours des semaines suivantes, les premiers aereus apparaissant après le 10 juin. La canicule intervenue à partir du 14 juin les mettant difficilement au repos forcé jusqu'au dernier jour du mois.
À cette date les pluies orageuses modérées (46 mm répartis sur les 12 derniers jours du mois) ont mis en route une nouvelle pousse. Tout s'est passé comme si le mycélium avait cherché à utiliser au maximum l'intermède tempéré de la première décade de juillet, les effectifs de bolets frais déclinant rapidement à partir du 10 alors qu'une nouvelle canicule orientait sensiblement le mercure à la hausse. Cette levée de juillet 2022 est absolument remarquable eu égard à la modestie des pluies étalées dont elle tire sa substance. Pour point de comparaison fiable il ne faut pas regarder du côté de juillet 2014, assis sur des abats d'eau bien plus conséquents, tout comme juillet 2011 qui a débuté en deuxième décade, mais plutôt du côté de juillet 2020 qui présente bien des similitudes, notamment les épisodes de fournaise et la prédominance d'une sécheresse estivale.
Actuellement la saison des cèpes est de nouveau arrêtée par les évènements climatiques, les girolles sont extrêmement rares dans mes terres mais de bonnes pluies et un temps moins chaud suffiraient à les multiplier. En revanche les oronges n'ont pas attendu le 14 juillet pour commencer à se montrer, timidement.
Pour conclure et pour en revenir au propos initial de cet article si difficile à mettre sur pied, je veux dire toute l'injonction paradoxale que peut éprouver un passionné comme moi à se réjouir pleinement de l'effet d'aubaine d'une telle saison de cèpes quand sa conscience et son expérience lui martèlent que cette abondance affleurante est l'expression d'une grande souffrance de la nature et du vivant. Les cèpes étant un peu, je le pense, au règne fongique ce que les geais et les merles à l'avifaune des sous-bois, des sentinelles. La suite, les habitués la connaissent déjà, pour peu qu'il pleuve correctement à l'automne la saison 2022 va virer à l'exceptionnel, supplanter 2020 tout comme 2020 supplanta 2011. Depuis 15 ans la courbe de mes millésimes cépiques est indexée sur celle des températures. Jusqu'à quand ? Dans un article de la défunte revue Spécial Champignons Magazine quelqu'un avait écrit, il me semble que c'était Régis Courtecuisse : "Pour que le cèpe pousse il faut que le mycélium ait été malheureux. Pour l'heure l'observation de cette théorie nous bénéficie. Mais n'a-t-elle pas ses limites ? Le mycélium des cèpes, bien que thermophile, ne risque-t-il pas un jour d'abdiquer et de plier bagage ? En fait, pour ma part, ces cèpes qui poussent de plus en plus fort au fond des bois dans un monde qui sent le roussi et hurle à la mort, ils ont fini par me mettre l'alarme à l'oeil...
Adishatz !