Saison des cèpes 2022 : Enseignements et questionnements autour d'une sortie ratée des Marteroets...
Adishatz,
Ceux qui ont lu mon compte rendu complet de la saison des champignons 2022 le savent déjà, totalement à contre-courant de leurs cousins thermophiles un peu plus tôt, les cèpes de Bordeaux n'ont pas été très en vue en novembre et décembre, du moins dans mes terres. Après un millésime 2021 bien pingre, une deuxième saison famélique qui n'a pas manqué de m'interroger. Et ce dénouement m'a laissé d'autant plus étonné que le roi des cèpes a fait montre d'une abondance rare en altitude de la mi-août à la Toussaint.
Et le fait que Boletus edulis est sorti (quoiqu'en petit nombre) quelques jours avant les autres début octobre, alors que les conditions semblaient encore bien trop chaudes pour lui, ajoute d'autant plus à ma perplexité que cette apparition précoce autorisait toutes les espérances pour la suite.
Sur le déroulement de cette fin de saison fongique deux évènements climatiques ont eu raison des bonnes résolutions de nos valeureux Marteroets, les 100 mm de pluie tombés en 36 heures dans l'Entre-deux-Gaves entre le 15 et le 16 novembre, alors que les pluies précédentes avaient mis en train les premiers bouchons, et les sévères gelées de l'éphémère coup de froid du 10 et 11 décembre, au moment-même où le mycélium recommençait à former de jolis bolets. Il est à noter que certains secteurs du Béarn aux sols différents mais aussi où les pluies ont été plus étales ont hérité d'une pousse impressionnante. Ce qui me conforte dans l'idée que si le cèpe de Bordeaux est hygrophile, les puissants abats d'eau froide ponctuels (et à fortiori durables) de l'arrière-automne peuvent stopper le mycélium dans son élan sans garantie de reprise ultérieure à cette époque de l'année, contrairement à ses cousins thermophiles qui en général bénéficient d'une embellie et d'une remontée des températures après le déluge.
Les informations et témoignages qui me sont advenus ces dernières années, ainsi que mes propres observations, me conduisent à reconsidérer/questionner grandement bien des théories communément admises au sujet du cèpe de Bordeaux, espèce pour laquelle je n'ai pas encore 10 ans de recul dans mon terroir et que de plus en plus, je tiens pour la plus imprévisible de toutes. Concernant tous les cèpes, un consensus prévaut sur l'importance, voire la prépondérance, des températures de sol dans le concert des facteurs en covariation. On a coûtume de dire que Boletus edulis ne daigne se montrer que lorsque les températures du sol s'abaissent durablement en dessous de 15 degrés. Sans nier l'importance de ce facteur, je doute à présent qu'il soit le plus déterminant. Ou alors comment expliquer que des amis m'aient signalé la présence en nombre significatif de cèpes de Bordeaux dans certaines sylves pyrénéennes, vers 1300 à 1800 mètres, dès le 14 juillet au coeur de cet été de fournaise qui embrasait les plaines ? Comment expliquer les pousses mirifiques de ce cèpe sur l'ensemble de la chaîne, à la fortune des orages de chaleur de juillet à fin-septembre aux mêmes altitudes ? Enfin, même si c'est moins spectaculaire, comment expliquer que les Marteroets soient sortis en premier dans mes terres alors que les sols de toute évidence étaient encore bien chauds en théorie ?
Quitte à vous apparaître iconoclaste j'ai dans l'idée que bien que très hygrophile le cèpe de sapin (boletus pinophilus) que comme beaucoup je trouve fascinant, a une biologie beaucoup plus proche de celle des deux cèpes thermophiles, boletus aereus et boletus aestivalis, car tout comme eux, il apparaît dans le courant ou à la fin du printemps, en mai et juin lorsque les températures de sol se sont suffisamment élevées. Notre cèpe de Bordeaux, lui, apparaît dans certains secteurs de moyenne et de haute montagne parfois quelques jours ou semaines seulement après le solstice d'été, au moment où la lumière du jour commence à décroître. Et s'éteint en plaine (exception faite de quelques unités trouvées un peu plus tard au cours d'hivers trop doux) quelques jours ou semaines après le solstice d'hiver, alors que la luminosité a déjà recommencé à croître depuis le 9 décembre, jour de la Sainte Luce... En ce qui me concerne, la date de mes dernières trouvailles (isolées) n'excède guère le 25 décembre, rarement le jour de l'An. Et je remarque qu'il en va de même pour la plupart des chercheurs, y compris lorsque, comme certaines années récentes, les températures sol et air (douces) ne subissent pas de grande variation entre mi-décembre et début-janvier. Pour cette raison il me semble qu'il y aurait un intérêt, pour la connaissance de chacun, à éprouver la photopériode comme étant un facteur déclenchant (et limitant) d'importance au moins égale, si ce n'est supérieure à celui de la température du sol dans la biologie si sensible et déroutante des Marteroets.
Adishatz !