La saison des champignons 2021
La saison des champignons 2021
Adishatz,
Déjà que la chronologie de la saison de certaines espèces est de plus en plus affectée et distendue par le Réchauffement Climatique, lesquelles semblent également mises sur le reculoir par ce phénomène, la folie des hommes de pouvoir et de décision, très souvent citadins et coupés de la nature dans nos sociétés dites modernes, complique énormément la vie des passionnés et laisse des trous béants dans la narration qu'ils peuvent en faire. Je vous prie donc de m'excuser pour la relation parcellaire et éclatée que je ferai du début de saison.
Avec toutes les réserves qui découlent de mon préambule la saison des mousserons en plaine s'est avérée catastrophique, autant dire nulle, celle des morilles très faible, même si dans mes placiers coutumiers un frêne a fait illusion. Pour la première fois depuis 2004, malgré quelques centaines de kilomètres de marche à travers ma campagne béarnaise de mars à mai, le divin bossu ne s'est pas montré. Ce champignon très hygrophile n'a pas du tout goûté la sécheresse drastique qui a sévi chez nous du 10 février à fin-avril. Curieusement, petit pied-de-nez de la nature, il nous sera donné d'en trouver quelques uns au-delà de 1500 mètres de juin à septembre.
Malgré la douceur exceptionnelle qui s'est installée mi-février, les morilles n'ont pas poussé plus tôt que les années précédentes. J'en découvris 54 juvéniles le 25 mars autour d'un frêne. C'est le seul arbre qui m'ait gratifié de mitres dans mon placier fétiche. Sur la foi de plusieurs visites clandestines au-delà du 6 avril, date du confinement, toutes les autres places sont restées muettes pour la première fois depuis leur découverte en 2005. Circonstance aggravante, la chaleur implacable a provoqué l'avortement de la plupart de ces morilles en cours de croissance et considérablement écourté la saison. Le 4 avril je trouvai les dernières au pied du frêne prodige pour un total de 68 morilles. Ce chiffre fait grandement illusion, il est supérieur à celui de la plupart des années millésimées 2010 mais ne repose que sur un seul arbre.
Fort heureusement le morilleur béarnais peut jouer sur l'altitude pour trouver encore un peu de bonheur. Et l'avenir, je pense, au moins temporairement, sera à ceux qui auront le pied montagnard. Sans parler d'hécatombe nous avons opéré quelques jolies trouvailles en misant sur l'exposition des versants dès la mi-mars et jusqu'au confinement d'avril.
Dès les premiers jours de mai, à la libération, nous nous sommes précipités dans les pentes pour ne plus perdre le moindre instant de la saison et voir si les morilles coniques étaient plus hardies que leurs consoeurs communes et blondes. Nous renouâmes avec une montagne sèche comme jamais à cette époque. Les mitres, manifestement à maturité, étaient très peu nombreuses mais jolies. Très sale temps pour les hygrophores de mars, comme leur nom l'indique, et malgré un mois de mai plus humide nous ne pûmes rien tirer de plus ou si peu, du printemps 2021 en altitude.
Un temps j'ai pensé que les cèpes pourraient battre des records de précocité. Et puis les gelées d'avril, nombreuses et sévères, on rebattu les cartes. De ce fait, l'attente fut même un peu longuette, le premier cèpe d'été ne se montrant que le 28 mai.
À compter de cette date, dans le courant de l'été et jusqu'au 13 septembre les cèpes se sont montrés, timidement, à jours passés, souvent à l'unité mais régulièrement avec un ersatz de pousse entre le 29 juin et le 10 juillet.
Si les cèpes, sans jamais lever les doutes quant à la teneur de leur saison, n'ont jamais déçu, l'été 2021 des girolles a été flamboyant jusqu'après le 15 août, avec l'avènement d'un temps plus sec. Il a démarré par un coup d'éclat retentissant et qui me causa une vive émotion. Le 25 juin, passant près du vieux hangar de mon grand-père, j'avise une planche de jaunottes au pied des pruniers sauvages. Ma surprise est d'autant plus grande que je n'avais jamais remarqué de girolles dans les parages. Et puis, me penchant sur les sujets, j'observe que certains présentent de fines écailles lilacines caractéristiques sur la face supérieure. Il s'agit de girolles améthystes, une sous-espèce très répandue dans les Pyrénées jusque sous les sapins mais que je n'avais jusque là jamais rencontrée plus bas que les hêtraies du piémont au sud d'une ligne Oloron – Pau. Il est fort possible que ces chanterelles soient associées au grand sapin blanc probablement natif des montagnes qui se dresse à quelques mètres de là. Je note qu'il n'y a eu qu'une pousse et j'espère que l'année qui commence me donnera de les revoir.
Les oronges n'ont pas goûté le manque de chaleur et l'humidité des sols qui ont prévalu jusqu'à la mi-août. Elles ont été moins à leur avantage qu'en 2020, se montrant timidement en deuxième quinzaine et dans le courant du mois de septembre, un peu plus franchement en octobre, jusqu'au 20, au moment de la grande pousse des cèpes.
Le passage pluvieux copieux advenu entre le 13 et le 21 septembre a ouvert le bal de la grande saison, écourtant pour une fois cette attente fébrile qui nous tient parfois jusqu'après la Toussaint. La pousse tant attendue a commencé le 24 septembre et les cèpes thermophiles, têtes noires et cèpes d'été, qui jusque là avaient livré très peu d'indices quant à leur prestation finale, sont allés nettement au-delà de mes espérances et il semble que ce fut le cas un peu partout en Gascogne même si localement il a pu y avoir des déceptions liées aux conditions climatiques. La pousse a atteint son maximum d'intensité entre le 30 septembre et le 4 octobre et n'a commencé a décéléré sensiblement qu'à partir du 6 octobre pour s'éteindre le 15, un dernier cèpe noir étant trouvé le 23 octobre. Cette pousse vigoureuse, quoique moins intense que sa devancière d'octobre 2020, a permis à 2021 de combler promptement son retard pour finir parmi les cinq meilleures saisons des quarante dernières années. Elle a été suivie d'une jolie petite pousse de girolles en deuxième quinzaine d'octobre et jusqu'à la Toussaint.
Tout à la joie de l'abondance de têtes noires et d'aestivalis, les amateurs ne sont pas inquiétés du fait que le troisième cèpe, le Marteroet ou cèpe de Bordeaux, s'est montré fort rare au cours de cette pousse. Quelques spécimens signalés par les uns et les autres alors que les thermophiles étaient déjà sur le déclin. Et puis plus rien ou presque dans le courant d'un mois d'octobre redevenu bien sec, hormis quelques spécimens pourris en fin de mois dans un ravin pentu orienté nord.
Longtemps nous avons voulu mettre cette indigence sur le compte d'une hygrométrie trop faible associée aux récurrences anticycloniques de ce milieu d'automne. Car chez le passionné l'espérance a souvent la peau dure, déformant la perception jusqu'à nier longtemps les évidences. Pourtant le retour de bonnes pluies peu avant la Toussaint et dans les premiers jours de novembre n'y ont pas changé grand-chose. Quelques Marteroets sont apparus à l'unité à partir du 12 novembre mais la pousse n'a jamais pris son envol. Dans les meilleurs secteurs à ma connaissance la très grande majorité des placiers sont restés déserts quand sous un seul arbre on pouvait voir un nid de jeunes cèpes qui pour la plupart n'ont jamais grandi.
Après le 20 novembre, alors que les délicieux clitocybes géotropes commençaient à se montrer depuis quelques jours, la messe était dite pour chacun de nous. Curieusement, les giboulées glacées des derniers jours de novembre et ceux de la première décade de décembre n'ont pas tué cette saison famélique, quelques rares Marteroets étant encore trouvés dans la semaine de Noël tandis que les géotropes enhardis par le déluge étaient particulièrement abondants.
Le différentiel entre la très belle pousse finale des cèpes thermophiles et l'absence de pousse des Marteroets ne devrait pas manquer d'interroger l'amateur éclairé comme le scientifique. Car ce sont les mêmes facteurs extérieurs, notamment climatiques, qui ont accouché de ce résultat très différent, écart jamais observé ces dernières années. Concernant les cèpes de Bordeaux, j'ai dans l'idée que la grande atonie thermique de l'été (pour la première fois depuis plus de dix ans nous avons eu un été très avare en fortes chaleurs) a sa part dans le processus, car le Marteroet ne pousse jamais aussi bien à l'automne que lorsque son mycélium a transpiré et s'est déshydraté avec les beaux jours. Oui mais dans ce cas, pourquoi les thermophiles, qui avaient si bien caché leur jeu jusque là, se sont-ils fendus d'une fort belle pousse automnale, me demanderez-vous ? Sans certitude aucune, pour répondre à cette question ardue, je me tourne vers une théorie récente, très intéressante, portée par certains spécialistes du cèpe. Qui tient que dans certaines conditions il pourrait y avoir report de fructification du mycélium d'une saison (année) à l'autre si les conditions ne sont pas réunies. Partant de là, je vous propose de nous replonger dans la pousse anthologique de l'automne 2020 et d'en examiner le contexte : souvenez-vous, tout avait commencé par deux abats d'eau glacée considérables en provenance du pôle, fin-septembre et début octobre. À l'époque nous nous étions un temps inquiétés de la chute de la température des sols (pourtant très élevée après un été torride), redoutant qu'elle n'avortât la pousse des cèpes thermophiles, peut-être même celle des édulis. Finalement, à la faveur de l'inertie (chaleur emmagasinée dans le sous-sol) la pousse des thermophiles avait été mirifique (celle des aereus un peu moins) et celle des Marteroets, plus longue, avait battu tous les records. Il est tout de même probable, si impressionnante fût-elle, que la pousse des cèpes de chaleur ait été amoindrie par l'effondrement ponctuel des températures du sol, contrairement à celle du cèpe de Bordeaux, moins thermophile, qui a pu s'exprimer sans restriction. La pousse de l'automne 2021 pourrait donc résulter d'un report significatif de fructification chez les thermophiles, surtout que les cèpes noirs, les plus thermophiles de tous et donc les plus empêchés l'an dernier, ont nettement pris l'avantage dans mes terres cette fois, tandis que le mycélium des cèpes de Bordeaux, faute d'être malmené durant l'été, a pu quiètement passer son tour.
Au moment d'envoyer cette rétrospective de la saison fongique 2021, je formule le souhait que la nouvelle renoue avec la normalité. Si, comme certaines publicités en témoignent, l'idéologie enfermiste n'a pas attendu le covid pour nous vendre un modèle de société où, sur son temps libre, chacun resterait sagement chez lui gardé par ses écrans, à l'imitation de ces familles empilées sur des canapés, accaparées par des jeux vidéos des journées entières en attendant que le livreur en scooter apporte le repas, nous restons quelques uns épris de grands espaces et de liberté, fondus de paysages et de chants d'oiseaux dans les branches au fil des saisons, bien conscients que vivre intensément au contact de la nature est le meilleur gage d'une bonne santé mentale et le meilleur vaccin contre les virus, petits et grands, tout comme peuvent l'être les moments partagés entre vrais amis dans la vie réelle...
Adishatz !