la saison 2019 des champignons
Difficile de deviser plaisamment champignons et plaisirs de la cueillette dans un monde aux abois, où tout brûle et tout se noie. Et, après une décennie qui nous aura souvent portés aux faîtes de l'extase, en 2019 le rideau vient de retomber lourdement sur cette idée que si le réchauffement climatique sied à quelques espèces thermophiles dans une certaine mesure, à commencer par les cèpes, il pourrait aussi à terme sonner le désespoir de notre loisir et passion favoris.
Ce même réchauffement climatique dont tous les chiffres attestent l'accélération vertigineuse depuis le début de la décennie, n'est sans doute pas étranger, ainsi que la pollution des sols par ruissellement dans les ripisylves, au déclin inquiétant des morilles, qui comme toutes les espèces printanières semblent de plus en plus rejetées des plaines gasconnes devenues trop chaudes pour leur cycle "hivernophile" vers les montagnes, leurs vallées et leurs débouchés immédiats, en amont des premiers gros bourgs et autres agglomérations du piémont. Le printemps écoulé n'est jamais qu'une énième illustration de cette tendance de fond. Encore que la chose eût pu s'avérer bien pire. C'est en tout cas ce que je me suis dit mi-mars en renouant avec ma ripisylve bien aimée, en grande partie dévastée par les crues exceptionnelles de juin 2018. Bien qu'amputée de certains placiers auparavant très généreux, ma saison à cet endroit test termine à 31 morilles, dans l'étiage de la décennie depuis 2011. Elle fut aussi plus courte, les premières mitres (adultes) m'apparaissant le 4 avril et les dernières le 25, après les premiers accès de fièvre du thermomètre. La pousse atteignant son maximum entre le 12 et le 15 avril.
La saison des mousserons a été famélique, seule une de mes mousseronnières a délivré quelques spécimens à l'unité en deuxième quinzaine d'avril auxquels s'ajoute une trouvaille isolée en bord de route, les cinq doigts d'une main suffisant à tout compter.
Fort heureusement, à la même époque et jusqu'à mi-juin, beaucoup plus haut, là où subsistent encore suffisamment de fraîcheur et d'humidité, les morilles coniques et les hygrophores de mars ont permis au printemps de se faire pardonner son indigence en plaine.
Au soir d'un mois de mars ensoleillé et de plus en plus chaud, tous les espoirs étaient permis concernant la saison des cèpes. Y compris ceux d'une apparition avant la mi-avril si le temps continuait sur sa lancée. Et puis, dans l'intervalle d'un mois, la belle mécanique s'est enrayée. D'abord il y a eu ce net refroidissement sous les giboulées des tout premiers jours d'avril. Après il y eut l'improbable gelée du 5 mai, et les pluies, trop fréquentes et copieuses qui ont freiné l'indispensable réchauffement des sols.
Il me fallut donc patienter jusqu'au 5 juin pour rencontrer mes deux premiers cèpes de l'année, c'est une date assez tardive pour une première.
Jusqu'au 16 juillet rares sont les jours où les trouvailles dépassent l'unité et on peut passer plusieurs journées sans voir un bolet. Même si les premiers mois de l'été sont plus chauds et moins instables qu'en 2018, les sols sont fréquemment arrosés et rafraîchis par des pluies copieuses qui mettent la végétation à l'abri de tout stress hydrique.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ces conditions estivales chaudes et orageuses ont tapissé juillet et août de girolles pour le plus grand plaisir des yeux et des papilles. Après des décennies de déclin inquiétant 2019 confirme le regain récent des girolles et c'est bien l'un des rares motifs de satisfaction de l'année fongique.
À force de chaleur, un léger frémissement à la hausse des effectifs de cèpes est observée à partir du 17 juillet et jusqu'au 10 août sans qu'on puisse jamais parler de pousse dans la mesure où mes découvertes n'ont excédé qu'une seule fois les cinq cèpes journaliers. C'est cette même chaleur avec l'installation d'un temps plus sec qui a favorisé l'apparition tant attendue des premières oronges à partir du 14 août.
Bien plus que les cèpes, qui ont durablement déserté après le 28 août, et les girolles qui n'aiment pas le régime sec et seront quasiment introuvables ultérieurement, les oronges ont agrémenté les dernières semaines de l'été, avant de se mettre à leur tour en pause, le 2 septembre.
À force de pluies modiques mais répétées quoiqu'espacées en deuxième quinzaine de septembre et dans les tout premiers jours du mois d'octobre, les cèpes ont reparu à la date du 8 octobre, reprenant leur train-train de la saison estivale en se montrant de façon anarchique, presque toujours à l'unité et parfois espacée de plus d'une semaine jusqu'au 26 octobre. Je note cependant une évolution dans le courant du mois, certains placiers de bas-fonds se sont réveillés et m'ont offert quelques jolies surprises au cours de mes randonnées. De même après le 15 octobre ai-je pu contempler quelques jolies familles de cèpes, incluant les tout premiers Marteroets, dans les chemins creux et sur les lisières, mais toujours circonscrits à un ou deux arbres. C'est à cette époque qu'on a revu ici et là quelques oronges, mais en bien moindre quantité qu'à la fin du mois d'août. Pour le reste cette séquence climatique brouillonne qui court du 10 septembre à la mi-octobre nous a probablement coûté un dénouement de la saison des cèpes bien plus réjouissant. Les passages pluvieux et les averses intempestives ont avorté le début de stress hydrique que la deuxième quinzaine d'août avait laissé espérer tout en limitant la hausse de la température du sol, préalable à un choc thermique significatif.
Dans ces conditions, on s'estimera heureux que finalement, à la force de deux gros passages pluvieux entre le 10 et le 25 octobre, la grande pousse à laquelle moi-même ne croyais plus trop se soit déclenchée à partir du 29, coïncidant avec l'avènement de conditions climatiques tout aussi exécrables qu'exceptionnelles et qui ont considérablement plombé et écourté nos ultimes instants de bonheur décennaux en sous-bois. Je n'ai du reste qu'une vision parcellaire de cette dernière levée, car je dois confesser avoir été parfois chassé des bois, si ce n'est découragé d'y mettre les pieds par le mauvais temps. La pousse a été moindre que sa devancière de la Toussaint 2018, plus courte aussi, la pluviométrie extrême et rafraichissante y a sa part, mais au soir d'une année tellement poussive, elle reste supérieure à ce que la totalité d'une saison pouvait parfois offrir dans les années 1980 à début 2000. En première décade de novembre, aereus, aestivalis et Marteroets ont poussé joliment et de concert, même si quelques excellents placiers n'en ont pas vu. Par la suite les thermophiles ont abdiqué, offrant encore quelques spécimens imbibés d'eau à la façon d'asperges en conserve. Ce fut aussi le cas de bien des Marteroets pourtant réputés plus résilients au déluge, mais les edulis ont résisté davantage, décorant encore de jolis fonds de paniers jusqu'après le 20 novembre.
Un peu comme en 2018, la saison des cèpes n'a pas survécu aux premiers jours du mois de décembre, je trouvai mon dernier Marteroet le 6 et ni le redoux observé vers le 10, ni le rétablissement d'un temps moins pluvieux et plus ensoleillé ne sont parvenus à rallumer la flamme. Alors que cette décennie nous avait habitués à l'idée de trouver quelques bolets encore au temps des fêtes, ses deux derniers millésimes marquent un petit retour en arrière. Mais pour les connaisseurs, la retraite des cèpes fut bientôt reléguée, dépassée par la consécration cyclique des divins géotropes, apparus avec les pluies froides de novembre, en bordure des chemins, dans les haies, au fond des coteaux et des ruisseaux.
Adishatz !