Le mousseron, ce petit "bonhomme de chemins"...
Février indolent a égayé de ses premières jonquilles et primevères les parcs et les bois clairs. Là, de leur rose gracile les érythrones détonnent sur la jonchée du dernier automne et le concert des oiseaux enfle dans les taillis où blanchissent les prunelliers. La nature en éveil ébranle son ballet et dans quelques semaines le chercheur de champignons initiera avec morilles et mousserons un nouveau chapître de son livre.
Si la quête des premières, notamment "blondes" et "grises", presque toujours le long des cours d'eau peuplés de frênes, de buis, de peupliers et tapissés d'ail des ours, s'avère relativement accessible aux débutants, les seconds, plus rares, spécieux, facétieux et discrets relèvent d'une approche nettement plus ardue, méthodique où beaucoup de mycologues expérimentés abdiquent car le succès ne vient que très rarement au terme d'un long processus...
En préambule à vos futures prospections notez que si la découverte d'une mousseronnière relève presque toujours d'un petit exploit sanctionnant une démarche particulièrement chronophage, méticuleuse et énergivore, l'admirable ponctualité et la remarquable fidélité de cette espèce à ses stations, vous tiendront d'autant plus dans l'espérance que par la suite elles vous serviront l'omelette plusieurs années durant.
Aussi, avant de vous projeter presqu'à l'aveugle dans une quête de chapelets de mousserons disséminés à travers l'immensité et la complexité de vos paysages, avec ce risque considérable que la déception et le découragement ne coiffent l'héroïsme de l'effort initialement consenti, ne mésestimez pas le paradoxe d'une espèce que de nombreux ouvrages tiennent pour "sauvage" et éprise de milieux naturels francs de pollution alors qu'elle vit, le plus souvent inaperçue, tout aussi bien près de l'homme et de ses activités. Jadis, beaucoup de fermes recelaient une voire plusieurs mousseronnières sur lesquelles le cap de casa ou la dauna veillaient jalousement, sous les chênes multicentenaires encadrant le grand portail, dans le joli parc arboré, près des hangars, des poralhèras et des bòrdas, dans le jardin sous les fruitiers, dans le giron d'un chemin charretier, blotties contre quelque haie de prunelliers délimitant des parcelles, ou encore, en bordure des prairies jouxtant les bois. Au présent, certaines de ces fermes sombrent déjà dans l'oubli des ronciers quand beaucoup d'autres ont cessé toute activité, leurs mousseronnières demeurent... L'inspection des biotopes précités vous sera souvent rendue très malaisée par leur retranchement derrière des clotures, à moins que la loi et la notion de propriété privée ne vous en interdisent tout simplement l'accès. Cependant, nul ne pourra vous empêcher de vous "promener" le long des innombrables chemins communaux, pour partie transformés en petites routes à desserte locale, reliant ces fermes entre elles et constituant en quelque sorte le "trait-union" à tous ces écosystèmes chers au tricholome de la Saint George, et par là-même votre terrain d'investigation "par défaut" car le plus immédiatement accessible et prometteur. Dans un souci d'efficacité, le novice serait d'ailleurs bien inspiré d'investir dans des cartes détaillées de ses secteurs, telles que les séries de l'IGN au 1/25 000°, et de mettre à profit la saison creuse pour les étudier.
Si effectivement, la plupart des mousseronnières que j'ai eu la jubilation de répertorier résident sur l'accotement ou le talus herbeux d'un chemin ou d'une petite route de campagne, tout donne à penser que les probabilités de rencontrer le mousseron dans ces biotopes créés par l'activité humaine augmentent sensiblement avec la présence de notre vénérable chêne dans les parages, et tout talus ou allée herbeux peuplés de cet arbre décuplera l'attention du chercheur en faisant l'objet d'une fouille minutieuse.
Dans la quête du Saint Graal, le prunellier, prunus spinosa, épine noire, bròc negre en occitan, arbuste n'excédant pas cinq mètres de hauteur et hôte de haies et de pré-bois, atteste la composition calcaire du sol dont le mousseron est aussi adepte.
À défaut de chênes et de prunelliers, le frêne, l'orme et l'ormeau, mais aussi d'autres feuillus, des fruitiers, au premier rang desquels figurent les pommiers, et certains conifères, offrent parfois leur ombre et leur matière organique à des mousseronnières.
Enfin, souvenez vous que mousserons comme morilles sont des coureurs de fond contre nature, s'empressant de croître en vue de sporuler avant le grand envol de l'herbe au mois de mai.
Allez donc votre "bonhomme de chemin" et que votre quête soit heureuse !
Adishatz !