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Le Blog de Cristau de Hauguernes
3 janvier 2013

La légende du hêtre numéro 47...

 (Version française)

C'était dans le courant de l'automne 1556. Dans un hameau éloigné du village de Lourdios, Pèir de Candalòt gérait à grand peine une petite propriété avec ses quelques cardines, son maigre poulailler et ses lopins de terre où il faisait vivre sa femme et leurs quatre filles dans une ferme en partie délabrée. Un après-midi lui prit l'envie d'aller visiter son peu de bétail qui terminait les estives en forêt d'Issaux.

Quand ce fut fait, notre homme dévala les hauts pâturages de Barlagne par le Cournau. Au débouché du Talweg de Coumasse, gourmet et gourmand, il cèda à la lubie d'aller fouiner au-dessus de Cagoutas, au cas où quelques cèpes auraient poussé.

Le vent de la montagne emportait les premières feuilles et faisait courir des ondes de fougères qui brillaient au soleil d'octobre sur le front de Guilhers. Doucement, Pèir de Candalòt s'enfonçait dans la forêt, les yeux écarquillés, les cinq sens en éveil. Avec ce geste sûr du chercheur de cèpes qui l'apparente au fleurettiste, en un clin d'oeil il retournait un tas de feuilles soulevé par une taupinière ou un amas de brindilles à demi-déterrées par la hure de quelque sanglier.

Au bout d'un moment, à travers l'entrelacement des troncs et des branchages, un craquement diffus lui parvint. Campé sur son bâton et tendant l'oreille, Pèir de Candalòt tourna son regard du côté d'où montait le bruit. Quand ce fut plus fort il reconnut les pas d'un homme. "Un voisin en quête d'omelette, pensa-t-il." Nul doute qu'Issaux était assez vaste pour que personne ne s'y marchât sur les pieds. Sans s'inquiéter davantage il se reprit à chercher.

Cependant, au détour d'un rocher, lui apparut la silhouette d'un vieillard. Vêtu de hardes, traînant les sabots, il avançait à grand peine, agrippé à son bâton de noisetier.

Comme le vieil homme approchait, Pèir de Candalòt, fasciné, le dévisageait sans broncher. Il avait une épaisse chevelure blanche comme la neige des plus hauts sommets et une barbe longue, longue, comme le Gave d'Ansabère quand il chute à Lescun. Fin de stature, ses yeux étaient bleux comme le ciel de septembre au vent d'Espagne et ses doigts crochus à la manière des hommes sauvages et des animaux.

- Homme ! fit le vieillard d'une voix rauque, te resterait-il un peu d'eau pour un vieil homme par charité ?

Sans hésiter, Pèir de Candalòt saisit la gourde qu'il avait en bandoulière et lui fit don du peu d'eau qu'il lui restait. Le vieux fit mine de boire et reprit :

- Ami ! Sans façon tu m'as offert la gorgée d'eau qu'il restait dans ta gourde, à présent je vais te la rendre au centuple. Je suis vieux, très vieux, tellement vieux que je connais chaque pierre, chaque arbre, chaque gouffre, que je possède tous les sentiers et jusqu'aux menus trésors de la montagne. Ce matin, je descendais d'Azuns quand je vis une tempête de neige couvrir la cabane de Camplong. Ainsi m'avait parlé mon père quand j'étais petit : "quand tu verras une tempête de neige couvrir Camplong en descendant d'Azuns, il te restera moins d'un jour à vivre." Ce soir je serai mort et j'ai voulu confier les clefs de mon domaine à celui qui en serait le plus digne. Et tu seras mon héritier. Le jour de Noël au point de l'aube, tu laisseras ta femme et tes filles dans la ferme délâbrée de Candalòt et tu te rendras à la forêt des nuages. Il neigera fort, tes doigts géleront à la morsure du froid, le grésil cinglera tes joues, mais tes jambes énergiques te porteront à travers Labays enneigé. Au sommet d'un raidillon sur la droite, il y aura un piton sur le bord du chemin. À quelques mètres de là, sur l'écorce d'un hêtre, tu liras 47 en chiffres de sang. 47, c'est le numéro que les hommes donneront bientôt aux terres où je suis né, il y a mille ans moins un jour. La memoire d'Issaux et tout le savoir précieux de mes devanciers se gravent dans ce hêtre jour après jour. Tu poseras ce médaillon sur les chiffres de sang en souvenir de moi. Aussitôt, un jet de lumière te traversera, te conférant toute la mémoire et tout le savoir précieux d'Issaux et d'emblée il te signifiera son joyau, un bouquet de sapins que la neige ne recouvre jamais et où les cèpes abondent continuellement, à l'abri du gel... Chaque fois que tu en auras besoin, tu viendras chercher quelques poignées de cette bonne terre, de cette terre nourricière où tout prend et tout lève plus fort et plus vite et tu les émietteras sur tes prés, sur tes champs mis en culture et jusqu'à la cour des vaches. Ainsi, tu ne connaîtras plus la famine, et ta femme, tes filles et ton bien vivront à l'abri du besoin, jusqu'au matin où tu verras une tempête de neige couvrir Camplong en descendant d'Azuns...

Pèir de Candalòt fixait le vieil homme, abasourdi. Il aurait voulu lui parler par courtoisie mais pas le moindre filet de voix ne ressortait de l'émotion qui noyait ses pensées. Tous deux se regardèrent, muets. À la fin, le vieillard s'avança, posa sa main ferme et froncée sur l'épaule de son héritier, un instant, et il prit congé.

- Adiu, fit-il, en se retournant...

Candalòt resta un long moment, planté sur son bâton, sans pouvoir le quitter des yeux, pendant que la silhouette se perdait dans l'enchevêtrement des troncs et des branches...

Le jour de Noël au point de l'aube, le maître de maison de Candalòt laissa femme et filles dans la ferme délâbrée et se rendit à la forêt des nuages avec dans sa besace, le médaillon du vieillard. Il neigeait fort, ses doigts gelaient à la morsure du froid et le grésil lui cinglait les joues, mais ses jambes énergiques le portaient à travers Labays enneigé. Au sommet d'un raidillon sur la droite, il y avait un piton sur le bord du chemin. À quelques mètres de là, sur l'écorce d'un hêtre, il était écrit 47 en chiffres de sang. Candalòt y posa le médaillon en souvenir du vieil homme. Aussitôt un jet de lumière le traversa, en lui conférant toute la mémoire et tout le savoir précieux d'Issaux et lui signifiant d'emblée son joyau, un bouquet de sapins que la neige ne recouvre jamais, où les cèpes abondent continuellement, à l'abri du gel, dans cette bonne terre, cette terre nourricière où tout prend et tout lève plus fort et rapidement. Sur le coup de midi, de retour à la maison, cette besace pleine de cèpes transcenda le repas de Noël. Depuis ce jour-là chaque fois qu'il en eut besoin, il vint chercher quelques poignées de cette bonne terre, de cette terre nourricière où tout prend et tout lève plus fort et rapidement, et les émietta sur ses prés, sur ses champs mis en culture et jusqu'à la cour des vaches. Et tout prenait, tout luisait, tout poussait plus dru et plus vite. Ainsi Candalòt fut à l'abri du besoin à tout jamais et très longtemps on y vécut heureux...

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