Cèpes 2012 : chronique d'une fin de saison accidentée ou "pourquoi novembre 2012 ne pouvait pas ressusciter novembre 2011..."
Très longtemps attendues, les pluies diluviennes du week-end des 19, 20 et 21 octobre avaient soulevé cette folle espérance que dans un final étincelant, la déjà très honorable saison des cèpes 2012 égalât 2011, son illustre aînée... Du reste, les agglomérats de bébés têtes noires qui pointaient sous l'humus de certaines places de mon bois mitoyen dès le vendredi 26 octobre ajoutaient à l'optimisme.
Au fond d'eux-mêmes, les observateurs assidus et avisés savaient bien que la configuration climatique des deux saisons présentait de sérieuses divergences et chacun voyait se profiler avec anxiété ce coup de froid brûtal annoncé pour le week-end précédent la Toussaint, soucieux de son intensité, de sa durée, de son impact sur le sol des bois et de la capacité de résistance voire de réaction du mycélium à cette agression. Sur ce point, l'exercice 2011 s'étaient achevé sous les meilleurs auspices, les premières gelées blanches ne survenant que début décembre.
Cette année, les figures obligées de la météo ne nous épargnèrent pas ces premiers frissons d'octobre finissant. Si en sous-bois, il ne gela pas stricto sensu, la température des sols s'abaissa rapidement en deçà du seuil d'activation du processus fongique, plombées par trois à quatre gelées en prairie les 28, 29, 30 et 31 octobre. Dès le lundi 29 octobre tout se passait dans mes boletières comme si le froid avait figé les scènes de ses menus crimes. Tant et si bien qu'à l'heure où j'écris, mes petits cèpes sont toujours là, ils n'ont pas gelé, chose qui me fut donnée à observer par le passé, y compris chez des cèpes noirs adultes, mais ils n'ont pas poussé d'un millimètre depuis le 26 octobre où je les vis poindre.
Après les premières bises, d'autres cèpes sont nés dans ma châtaigneraie, mais à de très rares exceptions près, ils n'ont pas cru davantage et se sont étiolés lamentablement. C'est qu'à peine les températures avaient-elles regagné quelques degrés le ciel crut bon d'ajouter la noyade à l'hypothermie. Dès lors tous les rejetons qui pointèrent dans le courant des vacances de Toussaint eurent la texture d'une boulette de papier imbibée d'eau, hormi quelques têtes noires qui sourdaient des entrailles du sol. Dans d'autres bois, j'eus un peu plus de succès, mais cette pousse contrariée ne put jamais soutenir la comparaison avec celle de la première décade de septembre ou des trois premières semaines d'octobre...
Ce soir, me retournant sur les trois dernières semaines écoulées, il ne fait guère de doute que si le coup de froid n'a pas tué la saison des cèpes 2012, il a pu la freiner dans son envol final dans des proportions qu'il conviendra d'apprécier plus bas et que le redoux, surtout qu'il fut encore interrompu par d'autres gelées blanches et accompagné de pluies froides et de trop éphémères répits ensoleillés, n'a jamais été en mesure de la relancer par l'élévation de la température des sols, de loin la plus déterminante. À ce sujet, notre ultime espoir tient à ce que la grande douceur promise à partir de mercredi prochain associée à un ensoleillement enfin plus conséquent, aboutisse à drainer des sols saturés d'eau pour mieux leur faire grappiller ces quelques degrés indispensables à réactiver tout processus de fructification mycélien...
Si malgré tout ce scénario, où il en va au moins autant de nos espérances que du raisonnable, ne se réalisait pas, ou alors en de très faibles proportions, la saison des cèpes 2012, quoique de fort belle tenue, nous laisserait sur un indépassable sentiment d'inachevé et en proie à des escouades de questions entêtantes sur lesquelles je vais m'employer dès à présent, dans l'incertitude où nous avançons nombreux, à vous dégager quelques éléments de réponse...
Le coup de froid de Toussaint 2012 a-t-il tué la saison des cèpes et dans ce cas, que serait-il advenu sans ces gelées ?
Une idée communément admise d'emblée et la tentation de notre propre confort intellectuel nous pressent de répondre par l'affirmative à la première partie de cette question importante mais pas nécessairement primordiale. À y regarder de plus près, il n'est pas du tout certain que le dénouement de la saison des cèpes eût été tout autre sans cet accident climatique. D'abord que de mes pointages personnels effectués juste avant le froid, il ressortait que l'empressement du mycélium à former ces jeunes cèpes était moindre que lors de la fructification massive qui s'était intiée vers le 11 novembre 2011. Et rien ne nous autorise à affirmer que la fructification de fin-octobre et de novembre 2012 se fût accrue en l'absence de cette inflexion climatique (saurons-nous jamais...) Faut-il y lire la signature du "sentiment de l'urgence" ou de cette "fureur de vivre" dont j'aime tellement à parler pour caractériser la fougue mycélienne lors des pousses exceptionnelles, en d'autres circonstances, combien de fois avons-nous vu des cèpes noirs lever en masse, après la Toussaint, disques du chapeau cristallisés par les gelées matinales, simplement parce que jusque là l'automne avait été extrêmement sec et que l'irruption in extremis de la pluie ne leur avait laissé d'autre choix que de fructifier à cette époque. Or nous l'avons évoqué précédemment, le gel de fin-octobre 2012 a grandement épargné nos bois. Autant en conclure que si le froid a pu hâter l'agonie de la saison des cèpes, ce qui à ce stade reste une hypothèse, il a peut-être aussi bénéficié de complicités actives...
Mais qui donc aurait donc pu aider le coup de froid de Toussaint dans son entreprise de mise à mort de la saison 2012 ?
Si l'on admettait que la poussée de cèpes de novembre 2012 fût morte d'hypothermie en sous-sol, ce qui n'est pas aisément démontrable, que dire du rôle des excédents pluviométriques qui lui ont succédé, dans cette interminable agonie ? On sait depuis longtemps que trop de pluie peut avorter une poussée de cèpes. Du reste, rien ne nous dit que le sort de l'exercice 2012 n'était pas scellé dès les 150 millimètres du week-end précédent, celui-là même qui avait soulevé tant d'espérance. Les pousses exceptionnelles de 1986, 2006 et novembre 2011 étaient sises sur des précipitations à 100 ou 120 mm étalées sur plusieurs jours, voire sur une décade, là nous eûmes 112 mm en environ 50 heures, auxquels il convient d'ajouter près de 45 mm tombés au cours de la semaine précédente. Alors que le mycélium formait encore ses cèpes des orages de fin-septembre, on ne peut exclure que ce fût trop. De ce point de vue, le retour promis de journées ensoleillées et d'une grande douceur ces prochains jours pourrait bien nous aider à voir plus clair dans ces questions ardues car si le mycélium est toujours travaillé par l'urgence, les cèpes reparaîtront sous peu, à commencer par les bois situés sur les hauteurs ensoleillées et thermophiles qui ont très longuement enduré chaleur et sécheresse sans réellement être en situation de fructifier depuis l'été...
Qu'adviendrait-il si 2012 n'avait pas achevé son "quota" de fructification ?
De plus en plus mon sentiment est que, quelle qu'en soit la raison, si une saison de cèpes ne parvient pas à achever ses "fructifications", le reliquat est tout ou partie reporté sur les saisons suivantes, à commencer par 2013... Mais encore une fois, il se pourrait bien que l'explication à cette fin de saison en apparence tronquée, ou en "queu de poisson", soit tout autre et que vous et moi nous trouvions dans l'erreur où nous ont conduits notre passion et gourmandise. Peut-être tout simplement, le mycélium avait-il réalisé son quota de spores viables pour 2012. Sur tout cela, la quinzaine ensoleillée et la grande douceur qui se profilent seront vraisemblablement décisifs...
Adishatz !