2006, année du cèpe ! (mémoire des grands jours...)
Qu'importe si plus d'un milliard de chinois tiennent 2006 pour année du cochon, du lard, de la chèvre, du chou, enfin que sais-je ! Pour ma part, ne leur en déplaise, je dépose ci-dessous la preuve que ce fut l'année du cèpe.
L'entame de saison fut prometteuse. Dès le 8 mai, 8 jours seulement après que l'intraitable hiver 2005-2006 a rendu sa dernière gelée, les trois premiers cèpes d'été sourdaient fièrement de terre sous les châtaigniers de Hournèu. J'en trouvai, quoiqu'en petit nombre, tout au long des jours et des semaines suivants. Amorcée fin juin, une poussée plus mportante a atteint son apogée dans la première décade de juillet, juste avant la canicule. Puis, à partir du 14 juillet, l'avènement d'une longue période de sécheresse et la fraîcheur qui s'est invitée chez nous pour le mois d'août, ont retardé l'insurrection jusqu'au début de la semaine du 18 au 24 septembre. Là, suite aux pluies très abondantes du début du mois, quelques éclaireurs ont été confondus en plaine. Cette ébauche de pousse venait à peine à maturité qu'une autre, beaucoup plus impressionnante, s'est amorcée au cours du week-end des 23 et 24 septembre. Parcourant les sous-bois dans le but de l'évaluer au mieux, je vis 10, 20, 30, 40, parfois plus de 50 cèpes agglomérés. De véritables grappes de cèpes noirs juvéniles en couveuse, sous l'humus des meilleures stations, et jusque dans des bois moins productifs. Le dimanche 24 septembre 2006 au soir, dans un sms enthousiasmé, en guise de bilan provisoire, je dis à Jean-Bernard, mon collègue basque qui se languissait à Paris : "on va tutoyer 1986!!!!"
...1986, rien que çà ! Je m'étais secrétement pris à rêver d'une telle prolifération de cèpes, d'une telle hécatombe depuis Noël 2005, lorsque de ma fenêtre à Lasbordes, j'observais le sol profondément pris par le gel pour le deuxième hiver de rang, tout comme l'hiver 1985-1986 avait été le deuxième hiver rigoureux consécutif après celui, terrible, de 1984-1985. Assis sur la bonne mpression laissée par les belles poussées du mois de mai et du mois de juillet, ce rêve était entrain de prendre corps.
Il s'est matérialisé de façon très spectaculaire dans la semaine du 25 septembre au 1er octobre. Le mercredi 27 à 17h, par un soleil radieux et sous un ciel bleu limpide, sitôt accompli mon service au lycée de Lescar, je fonçai au volant de ma supercinq, comme aspiré par les éffluves de cèpes qui émanaient de mes côteaux de Lasbordes. À peine arrivé à la maison, pas même pris le temps d'un café, juste celui de me mettre en tenue forestière, et me voilà parti à travers les bois qui jouxtent notre propriété. Deux pleins paniers de cèpes en 2h de cueillette, et pas des paniers pour les nains, de beaux cèpes d'été et surtout beaucoup de têtes noires, tous encore jeunes et très fermes. J'eus même l'immense bonheur de débusquer une vingtaine d'aestivalis* roux et tubulaires aux confins de nos terres près d'un grand chêne et d'un châtaignier.
Mais la journée qui comptera incontestablement parmi les pages les plus glorieuses de ma carrière de chercheur de cèpes, fut celle du jeudi 28 septembre 2006, qui mérite d'être contée par le détail.
Ce matin-là, à l'aube, j'étais déjà d'attaque quand Jean-Bernard, mon ami basque, vint se joindre à moi. Le bois de Hournèu, intarissable, nous délivra sans tarder le même panier garni de cèpes noirs que la veille au soir. Puis nous nous dirigeons à travers champ vers un autre petit bois, un peu plus éloigné, que les anciens appelaient "Le bois de Catherine". Il s'agit d'une langue arborée en pente douce, essentiellement constituée de châtaigniers mais renfermant quelques très beaux chênes en son sein. Je n'y ai jamais trouvé que des cèpes noirs, 5 à 20 spécimens selon les années. En effet, les cèpes d'été l'ont, semble-t-il, déserté depuis la fameuse saison 1986. À l'entrée du bois Jean-Bernard se dirige vers un petit châtaignier mal en point et étalé de tout son long dans un enchevêtrement de ronces... Il y a là une vingtaine de cèpes d'été, 4 ou 5 de plus sur le propre un peu plus haut. Je suis littéralement soufflé. Mais, pas le temps d'encaisser, dans les stations du dessus, des têtes de nègre comme sur les étals d'un marché, tous boulimiques et fermes, entre les chênes et les châtaigniers dans le lierre. À la fin de la saison 2006, le "Bois de Catherine" totalisera 199 cèpes pour une moyenne annuelle de 10, soit près de 20 fois plus. Sous les couverts suivants c'est pareil, au "Bois de Pécaut", au "Chemin de Pécaut", partout des têtes noires magnifiques et comme je n'en avais plus vues depuis les années 1986, 1987.
Au dessus du ruisseau de "Laurent", dans un lieu que j'ai baptisé "La carrière", car il est fait de petits châtaigniers poussés sur les éboulis de terre évacuée d'une ancienne carrière, il y a une vingtaine de cèpes d'été. Jusqu'en 1996 ce petit secteur nous en offrait une bonne centaine par an, majoritairement de très beaux cèpes d'été. Et puis, subitement et sans explication, plus rien ou si peu... Jusqu'à cette année.
Notre avance matinale échoit triomphalement dans le bois "de Piné". Une très jolie bordure de chênes hérissée de fragon sur l'échine d'une carrière, et flanquée de quelques châtaigniers et d'une brande de fougères grand-aigle. Ce bois, surtout très productif en cèpes noirs, a la réputation, fondée selon mes propres observations, d'être plus tardif que ses voisins. En effet, il faut bien l'intervalle d'une semaine pour qu'une poussée constatée dans les bois mitoyens se déclenche à "Piné". Ce coup-ci cependant il n'est pas en reste et nous y trouvons beaucoup de cèpes d'été sur les bordures. Par contre, les cèpes noirs sont un peu à la traine, mais on ne leur en tiendra pas trop rigueur au cours des jours suivants. Au moment de mettre les pieds sous la table à midi, nous totalisons déjà 2 grands paniers et 1/2
de cèpes, sur de tout petits bois où ce tableau serait déjà considéré comme celui définitif d'une excellente année en temps normal. Seulement voilà... 2006 n'était pas une année "normale"...
L'après-midi, nous mettons le cap vers le fond de Labour, au pied de la collinne de Burgaronne, véritable petit temple du cèpe bien connu des mycologues mycophages des environs de Salies et de Sauveterre, et de beaucoup plus loin d'ailleurs... De grands bois et des bordures de chênes très généreusement nappés de fragon et de fougère grand-aigle pour l'essentiel, avec quelques châtaigniers disséminés et, comme fil conducteur, l'Arrèc-Héurèr, charmant ruisseau né dans le fond d'Orion et qui va unir son cours paisible à celui beaucoup plus tumultueux du gave d'Oloron du côté d'Athos-Aspis. Pourquoi les cèpes se plaisent-t-ils tant dans ce secteur, particulièrement sauvage et préservé, il est vrai ? Je n'ai jamais eu de réponse définitive à ce sujet... La nature du sol ? L'aptitude de ces chênaies disposées au creux de deux grandes collinnes à conserver plus qu'ailleurs un supplément de fraîcheur et d'humidité si nécessaires au bien-être de notre cèpe après les orages du 15 aout et en attendant ceux de septembre ? Enfin bon, du moment que le cèpe y revient...
Nous croisons des voitures et des mobylettes stationnées pêle-mêle au bord des chemins de terre. Il y a donc beaucoup de monde au "temple" cet après-midi. Nous nous garons chez Michel Pocq, jeune agriculteur retraité et figure fort appréciée du pays, et nous cheminons vers un premier petit bois de chênes sur les rives de l'Arrèc, à droite du chemin qui conduit des terres de Labour à celles de Labartouille. Il est d'ordinaire copieusement truffé de cèpes d'été sur les bordures, et sur le fond, plus frais et humide, de têtes noires splendides. Mon premier panier est déjà plein. Et le deuxième ne se fait pas prier pour l'imiter, au sortir du bois suivant, constitué d'allées et de bordures de chênes disposées au milieu d'une très riche ripisylve de frênes et d'aulnes, de l'autre côté du ruisseau. Nous y trouvons aussi les premières oronges. Car ce qui nous étonne, c'est que depuis que cette poussée d'anthologie a commencé, les forêts sont comme exclusivement dévolues à la venue du cèpe. Il y a très peu d'autres espèces, ni bolets, ni amanites, ni russules, juste des petites lépiotes le long des chemins et, fait plus étonnant par sa précocité, des helvelles crépues, que je rencontre plutôt fin-novembre, début-décembre dans les litières de feuilles roussies et déchues, avec les premiers frimas. Quoiqu'il en soit, le deuxième panier est plein et il nous faut revenir jusqu'à la voiture afin d'y déposer nos précieuses trouvailles. En route nous croisons un sympathique cueilleur, qui arbore lui aussi un panier bien chargé... C'est fou comme le cèpe peut faire délier les langues...
Et nous voilà repartis, paniers plus légers, à travers la collinne de Burgaronne. Nous arpentons plus précisément le chemin qui relie le moulin de Labour au village de Burgaronne, dont lesbordures de chênes et châtaigniers sont de véritables gisements de cèpes et d'oronges. Puis nous bifurquons vers la droite à travers une sorte de pré en friche que l'on appelle "Terres hourns". Depuis un bon moment déjà, nos paniers ont recommencé à se remplir irrepressiblement et je me demande avec une crainte non dissimulée s'il nous restera de la place lorsque nous atteindrons les bois du fond de Labour, situés entre le moulin du même nom et Mina, qui sont de véritables usines à cèpes et vers lesquels nous plongeons déjà à travers prés et bordures. Le bois de Bégué, tout en chênes et blotti au pied de la collinne de Burgaronne, et qui fricote langoureusement avec l'extraordinaire bois du moulin, en est bien pourvu comme à l'accoutumée, mais il a été visité et ce n'est pas lui qui mettra un terme à notre moisson.
Nous traversons rapidement le fameux bois du moulin de Labour, trébuchant bien malgré nous à quelques magnifiques cèpes tête d'acier qui se tapissent sous l'herbe de cette chênaie majestueuse. Impossible de passer outre. Puis, nous attrapons un petit sentier bien commode qui scinde le bois et nous voici enfin dans le vaste fond de Mina, très majoritairement pourvu en chênes au creux des côteaux, avec quelques beaux châtaigniers sur ses arêtes, et surtout, des sapins de plantation qui l'assombrissent considérablement et lui versent une rente de fraîcheur. Il est très généreux en cèpes par endroits. Et d'ailleurs, notre campagne ne lui survivra pas. Elle s'est arrêtée quelques centaines de mètres seulement après le bois du moulin. Trop de cèpes, mes deux grands paniers n'y suffisent plus. Ni le très grand sac en toile que Jean-Bernard m'a aimablement prêté pour substitution. Ni même le sac Leclerc de complèment que je trimballe dans mon sac à dos pour les grands jours... Nous aurions pu poursuivre des heures et en trouver encore et encore... Mais, le soleil commence à plonger vers l'horizon, nous sommes loin de la voiture, çà tire fort sur les bras et, de toutes façons, on ne peut en recueillir un de plus.
Nous voici donc sur le sentier du retour. Tant bien que mal, je suis obligé de m'arrêter pour souffler tous les cent mètres tellement je suis chargé. Dans le bois du moulin, nous croisons deux jeunes gens qui partent en cueillette, le panier déjà bien décoré. Nous nous arrêtons 2 minutes pour taper la causette, des histoires de cèpes évidemment, et au moment de nous quitter, nous baissons les yeux de concert vers le sol et voyons ... un beau cèpe noir qui devait sûrement trembler de toutes ses pores en priant qu'on l'épargnât. Nous le leur laissons de bonne grâce. Quel soulagement d'arriver à la voiture, puis à la maison ! Le coffre est plein, les paniers occupent la totalité de la banquette arrière et il reste les sacs à leurs pieds. On aurait pas pu prendre une autostoppeuse. Même mignonne... Même très très mignonne ! Non, non, n'insistez pas! Impossible.
Après avoir pesé chaque panier, sac et caisse, nous totalisons 55 kg de cèpes pour cette seule journée du 28 septembre 2006. Et ce soir-là, inutile de péciser quelle fut notre pitance !
Je réalisai encore deux cueillettes prodigieuses au cours du week-end suivant et la poussée ne donna aucun véritable signe de fléchissement avant le milieu de la première semaine d'octobre. Sur mes seuls petits bois de Lasbordes, le compteur s'est arrêté sur le chiffre de 1040 cèpes, près du double de celui de 1986. Même si à cette époque la concurrence était plus rude sur mes terres, je doute de revoir saison approchante.