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Le Blog de Cristau de Hauguernes
23 décembre 2010

Histoire de la Gascogne

Histoire de la Gascogne

De la préhistoire à la fin des temps Romains

Au Menu :

I Introduction

II La Gascogne. L'Aquitaine de la Préhistoire au premier âge du fer

III La venue des Celtes

IV La conquête romaine en Gascogne

V La romanisation de la Gascogne

VI Vers la fin des temps romains

VII La reconquête des Basques et la naissance la Gascogne

VIII Et nouste Bearn dans tout çà

Introduction

César fut le premier à prononcer le nom d'Aquitania, il la décrivit comme troisième composante de la Gaule. Strabon1, 70 ans après, témoin des réformes administratives d'Auguste, sur les traces de Poséidonios d'Apamée2 qui traversa le sud de la Gaule avant César, va mettre en évidence la différence entre Aquitains et Gaulois. "Les Aquitains différent de la race Gauloise par leur aspect physique, par leur langue et ressemblent davantage aux Ibères".

S'agissant du vocable de Gascogne, il est un héritage des temps Mérovingiens, d'une prétendue conquête. Le nom de Vasconia (Gasconia dens les parlers germaniques) apparaît dans l'oeuvre de Grégoire de Tours3 au sixième siècle et s'applique au territoire entre les Pyrénées, la Garonne et l'Océan Atlantique, autant dire une bonne partie de l'Ancienne Aquitaine qui s'étendait alors jusqu'à la Loire. Mais pour les anciens, ce territoire correspond essentiellement à la Novempopulanie (le pays aux neufs grands peuples et aux cités gallo-romaines).

Aussi pouvons-nous nous demander qui étaient ces "Ibères" dont parlait Strabon, étaient-ils d'authentiques Ibères de la vallée de l'Èbre et du levant Espagnol ou bien le conglomérat des divers peuples Celtes, Vascons, Ibères qui coexistaient en Espagne. Son oeuvre dissocie l'ethnie de la langue Aquitaine qui en dépit d'un morcellement politique a toujours uni ces peuples. Selon les linguistes d'aujourd'hui, cette langue sujette à polémiques serait très éloignée de l'Ibère et, ancêtre du Basque, s'enracinerait dans de très vieux parlers préhistoriques des deux versants des Pyrénées mais aussi plus au nord et sur tout ou partie de l'Ibèrie. On en trouve la signature dans quelques toponymes : Elimberis (Auch / Gers), Illiberi (Elne / Pyrénées Orientales) et au sud de l'Espagne Illiberis (Grenade) ; Calagurris (Saint Martory), homonyme des deux Calahorre d'Espagne (Léon / Rioja). L'unité de la langue Aquitaine fut uniquement préhistorique, puis elle se fragmenta et régressa avant même que les Romains eussent refoulé et cantonné les peuples "bascoïdes", derniers Aquitains restés fidèles à leur langue et civilisation dans leur territoire actuel.

La Gascogne. L'Aquitaine de la préhistoire au premier âge de fer

Les premières civilisations de l'Aquitaine remontent aux grandes glaciations de Mindel4 vers -500 000 ans. Les témoignages archéologiques sont fragmentaires. Nous savons toutefois que cet hominidé campait près des fleuves, qu'il veillait sur ses territoires de chasse et savait confectionner des outils rudimentaires en rognons de silex.

Bientôt il s'est abrité dans des cavernes et a domestiqué le feu. Sa nourriture est constituée de fruits, graines, larves, insectes mais il vit principalement de chasse.

Au Néanderthalien5, l'homo Aquitanicus parvient à l'âge du Moustérien6 (homme s'illustrant surtout dans l'art de fabriquer des racloirs.) Malgré le froid il réside dans les vallées et sur les plateaux. Un nomadisme partiel se fait jour en Gironde. On a découvert des édifications (notamment le mur en pierre sèche du Péch de L'Ajè) et un agencement astucieux des cavernes (l'homme sait allumer des feux qu'il entretient avec des ossements et du bois dans des cercles de pierre et sait en évacuer les fumées par le choix de l'emplacement). C'est à cette époque que nait une sensibilité artistique et religieuse mise en évidence par l'avènement du culte des morts et les nécropoles. Les morts étaient couverts d'affection, il y a des marques d'une croyance métaphysique (offrandes d'outils, de nourriture).

Entre moins 35 000 et moins 9 000 ans la classification historique des phases de développement de l'homme montre une forte évolution des civilisations. Le Périgordien est un homme du grand Sud-Ouest qui perfectionne les outils, s'initie à la sculpture (conception de figurines). Il vit dans des cavernes et abris mais aussi dehors. L'Aurignacien7 de Haute-Garonne invente l'art figuratif et de nouveaux outils. En outre il passe maître ès arts de la pierre.

Vers moins 15 000 ans les grands chasseurs Magdaléniens, nomades (qui selon les spécialistes pourraient être les véritables ancêtres des Basques et de leur langue actuelle) s'établissent en Aquitaine. Ils abondent la collection d'outils (sagaies, baguettes, harpons, propulseurs). Mais à la fin de cette période le climat se réchauffe et ils sont contraints de suivre les grands troupeaux d'herbivores qui font cap au Nord. Le paysage se transforme, la forêt croît, la faune mue. La poignée d'hommes restante survit à grand peine. Ils confectionnent des grattoirs et des harpons. Vers le paléolithique supérieur8 la population augmente et se sédentarise. Il y a des campements estivaux, les chasseurs savent construire des tentes, l'art est florissant. On chante et on danse au son des flutes. L'Aquitaine détient la quasi-totalité des peintures, sculptures et gravures. C'est ici que naquit un véritable art Occidental. Le bestiaire représenté est époustouflant. Cette époque vit peut-être l'homme s'initier aux sciences et au travail du bois. Cependant les découvertes laissent supposer qu'il se souciait peu de métaphysique.

Vers moins 10 000 ans l'économie s'apparente au Néolithique9. L'homme vit avec ses moutons, ses chiens et un gros chat sauvage (felix sylvestris). Avec la régression de la forêt sa subsistance se fait davantage piscivore et conchylivore. Les coquillages sont prélevés en mer avec des escargots. Vers moins 4 000 ans on trouve des preuves irréfutables d'agriculture. L'homme a maîtrisé la nature, il devient producteur.

Jusqu'alors l'homme s'était contenté de cueillir ou de capturer son repas du jour, de vivre en parasitant la nature. Désormais il va s'associer avec elle en semant des graines. C'est dans le Sud-Ouest de la France que son répertoriées les plus anciennes graines de céréales (vers moins 3980 ans). En Aquitaine toutes les civilisations produisaient un très grand vase de plus d'un mètres de diamètre pour y conserver le grain moissonné. Concomitamment l'élevage s'étend : boeufs, porcs, moutons et chèvres paissent durant l'été et l'hiver, sont nourris de feuilles séchées. Pour son alimentation l'homme a un penchant pour les bovins. Il pratique l'écobuage, le bétail nettoie le terrain et participe à la mise en culture. En contrepartie, la forêt recule. Se laissant dériver par le Golf Stream les premiers hommes néolithiques seraient arrivés par le littoral en provenance du Portugal au cours d'une période de forts déplacements de population en Europe, lesquels affectèrent l'Aquitaine dans une moindre mesure. Vers moins 3000 ans grâce aux apports des civilisations Ibériques le cuivre est le premier métal conquis par l'homme. Il sert à concevoir des armes et des outils. Entre moins 2800 ans et moins 2500 ans l'homme vit plus volontiers en communautés. Il établit ses villages sur les hauteurs qui sont plus aisées à défricher. Avec la constitution de groupes humains les individus se spécialisent : tailleurs de silex, artisans fabricant outils et armes, agriculteurs champêtres, gardiens des troupeaux, chasseurs pour la nourriture. Les femmes travaillent la laine, taillent et cousent les peaux, confectionnent des poteries, des bassines et tressent des nattes avec des ajoncs. En outre les ancêtres du pain et du fromage sont nés. Les outils s'affinent : lames de faucilles, ciseaux et lissoirs. C'est à cette époque que la coquetterie voit le jour : hommes et femmes portent des pendentifs. Mais hélas une fois la terre épuisée il faut partir en quête de nouveaux champs et pâturages. De la convoitise du bien d'autrui nait la tentation de s'en emparer par quelque guerres tribales sporadiques. D'où la nécessité de défendre et de fortifier les villages que l'ont ceint d'un double fossé profond de 2,5 à 3,8 mètres et large de 5 à 7 mètres. Entre les deux on érigeait un rempart abrupt de terre et de pierres. La sépulture devient l'expression du groupe humain. La religiosité et le culte des morts lui confèrent une apparence indestructible. Vers moins 1800, moins 1500 ans, la Hallebarde de Geay10 exhumées à Sost dans les Hautes-Pyrénées attestent que l'homme sait exploiter le bronze. Le métal vient d'Armorique. Le Médoc, où la matière première parvenait sans doute en bateau par la côte et était échangée contre de l'ambre, devient un centre actif de production. On dénombra 43 entrepots, 1055 haches, 6 pointes de lance, 5 bracelets, 2 pointes de javelot et 1 harpon avec un goût manifeste pour la décoration des produits. Le métal était coulé dans un moule bivalve puis martelé à froid. Bientôt la hache Médoquine fut introduite dans les Pays de l'Adour et la production est imitée en Gironde avec la création de haches à talons. À cette époque nous sommes confrontés à une situation bipolarisée entre une Gascogne du Nord métallurgique et peu peuplée et une Gascogne du Sud se démarquant par ses rites funéraires d'où ressortent principalement ses vases polypodes du Bronze Ancien (vers moins 1800 à moins 1500 ans) et ses céramiques du Bronze Moyen (moins 1500 à moins 1200 ans) à Final (moins 1200 à moins 900 ans). Les Aquitains du sud se sont initiés au nettoyage des sols légers et productifs de la Chalosse, du Bas-Armagnac et du Condomois, ainsi qu'à celui des étangs et des forêts peu denses près de l'Océan, se gardant bien toutefois de s'attaquer aux forêts hirsutes des Landes aux sols trop argileux, aux vallées encaissées et marécageuses et aux montagnes, terres de pastoralisme. L'Aquitaine érige aussi quelques dolmens et menhirs ne soutenant aucunement la comparaison avec ceux de la Gaule et de l'Ibérie. Ils sont majoritairement l'émanation des peuplades pastorales et jalonnent de ce fait les voies traditionnelles de transhumance (Val d'Aran, Somport) ainsi que la rivière Gers à Bartres. À l'est de la Baïse aucun ne fut jamais découvert. De même les vestiges d'habitations et d'agglomérations sont très rares. Tout porte à penser que les abris furent des cabanes en bois, argile et pisé : terre argileuse battue, humectée et stratifiée dans un moule. Ces cabanes furent certainement couvertes de chaume. Pour l'essentiel on inventorie des tumuli et des nécropoles, excavations souterraines où reposaient les morts, surtout dans les régions périphériques de la Gascogne ( Pays de Buch, Couserans, Chalosse Occidentale, Val d'Aran, haute vallée de la Garonne, de la Neste et de l'Adour, le plateau de Lannemezan, du Gers, le Tursan et les Landes du Pont-Long). Ces rituels funéraires où le mort était enterré sous un tumulus de terre ou de pierre s'enracinent dans la nuit des temps préhistoriques et se perpétuent jusqu'à moins 1000 ans environ avec l'avènement de l'incinération qui va prédominer jusqu'à l'ère chrétienne. Le mort était incinéré avec ses effets, ses armes, et ses bijoux sur un monticule d'argile lissé et ses cendres étaient recueillies dans une urne en terre cuite déposée au centre du tumulus avec les reliques de ses armes, de ses bijoux, mais aussi des aliments pour la vie d'outre-tombe contenus dans des vases à offrandes. Vers le Buch et les Pyrénées les vases étaient légérement enterrés, à même le sol sur le plateau du Gers. Les preuves d'un feu rituel purificatoire ont été observés au-dessus des tombes tandis que des cercles de pierre ceignent la sépulture comme en prévention des maléfices. Dans les landes d'authentiques nécropoles furent mises à jour comme à Lannemezan, Neste et Avezac-Prat. De forme citculaire le tumulus mesurait entre 3 et 30 mètres de diamètre et 12 centimètres de hauteur. Le mobilier funéraire était très riche. Ainsi dans un tumulus du Plateau du Gers découvrit-on : plusieurs fibules, une agrafe de ceinture en bronze, une collection d'armes, d'outils et de parures en fer : une épée, des pointes de lances, des couteaux, un javelot de 1 mètre 40, un mors à cheval et dix vases en céramique. L'emplacement de ces nécropoles correspond sans doute à des carrefours où coulissent et s'entremèlent les populations pastorales du premier âge de fer (vers moins 700 ans). Mais avant tout cela, vers moins 1200 ans on extrait le sel par ébullition à Salies de Béarn, peut-être aussi à Salies du Salat. Vers moins 900, moins 800 ans, le fer nécessaire à la confection des armes fut exploité dans les Landes. Aussi, les carrefours de transhumance purent tenir lieu de marchés, donnant naissance à la civilisation Halstattienne10 du Sud Aquitain. Mais pour le restant de la Gascogne une étrange épée de fer avec poignées à antennes droites trouvée dans quelques tumuli du Gers et du Lot-et-Garonne semble être la seule preuve tangible de l'existence d'une civilisation en dehors du piémont Pyrénéen. Le métal est alors couramment utilisé pour les outils, l'ornement et les vêtements. Il entre dans la confection des pièces d'harnachement : mors, bride, anneaux doubles, ... Le cheval sert de monture et de tracteur. Le marché commun du Bronze, commerce juteux est florissant.

Annexes

1 Carte du "Pays Basque" au Paléolithique

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La venue des Celtes

Au premier Âge de Fer (moins 700 ans) les Celtes viennent et s'implantent en Gascogne dans des proportions mal définies. Sur les berges d'Arcachon et de la Leyre le pays dit de "Buch" tire son nom des Boïens11, peuple celte fortement distribué en Europe et qui s'est établi là vers moins 725. Il se caractérise par ses vases (saladiers) et ses urnes ventrues aux couvercles cannelés. De moins 625 à moins 540 il élabore de grandes urnes ovoïdes, des plats avec couvercles rudimentaires et des vases anguleux pour les offrandes. Enfin de moins 540 à moins 450 il devient expert dans l'art de confectionner des urnes globulaires avec couvercles en calotte et des vases accessoires au grand pied. C'est une civilisation remarquable et adroite. Elle exhume ses morts en Champs d'Urnes12 ou sous tumulus.

Un groupe se fixe dans la vallée de la Leyre après la conquête du peuple des Champs d'Urnes au début du VIIème siècle av-J.C. À l'aube du VIème siècle av-J.C. une communauté pastorale se faisant incinérer sous tumulus et assez proche des communautés de Vayres et de Saint Pey de Castets pénètre à son tour en Gascogne.

Dans les landes des formations tumulaires différant des Pyrénéennes et s'approchant des girondines furent découvertes à Sarbazan et Nantheri. Vers Agen, région proche du Tarn on trouva des vestiges de la civilisation des Champs d'Urnes à Riberotte, Lesparre et Nérac. De par leurs caractéristiques ils s'apparentent aux groupes Girondins mais sont reliés aux Pyrénéens par la voie antique Ténarèze13.

Le foyer Pyrénéen recèle des groupements de nécropoles sous tumulus, véritables cimetières tribaux. C'est une civilisation plus riche et singulière, réfractaire à l'utilisation du métal. Toutefois elle vendit des poignards en bronze et en fer ainsi que des fibules ornées de bronze vers Arcachon et Agen.

Les linguistes cherchèrent et isolèrent d'autres peuplades celtes en Gascogne. Ainsi les Tarbelli14 en Chalosse et Labourd dont le nom évoquerait le Gaulois Tarvos (Taureau/Taurvus). Mentionnons aussi les Succasses15 entre Lectoure et Eauze (racine celtique "cassi") et les Pinpedunni16 (selon Pline l'Ancien) qui seraient le peuple des cinq "oppida". Le Halstattien fait du Sud-Ouest un carrefour d'influences alors que la Gascogne avait été jusque-là tout au plus éffleurée sur sa frontière Garonne par les migrations protohistoriques. l'intrusion de peuples nouveaux apporte de nouvelles tecnhiques (céramique, métallurgie). Ces influences protoceltiques sont elles-mêmes causées par les spasmes sociologiques qui agitent la Germanie et contrarient l'installation des hommes. Les Celtes contrôlent les voies salières (Viae salariae) mais les populations autochtones, résistent, soudées par leur langue, l'Ancien Aquitain.

Trois siècles av-J.C. les Volques Tectosages17 remontèrent la vallée de la Garonne et fondèrent sur un tertre ce qui deviendra ultérieurement Lugdunum Convenarum, Saint Bertrand de Commenges. En Val d'Aran et dans les Pyrénées Centrales de nombreux tumuli attestent leur passage. Au premier siècle av-J.C. l'érection de "puys" funéraires trahit aussi leur présence en Gascogne Orientale à Lectoure, sur le plateau de Lamarque et à Saint Jean de Castex près de Vic-Fézensac, territoire des Élusates. Bien que la pénétration des peuples celtes soit indiscutable, il est très malaisé de savoir si leurs parlers et leur puissance militaire se sont imposés aux autochtones ou si ces derniers ont su faire respecter leurs coûtumes. De façon plus générale existent quelques bonnes raisons de penser que deux siècles av-J.C., d'authentiques Aquitains, d'authentiques Celtes avec entre eux plusieurs degrés de métissage, cohabitaient l'Aquitaine. Tous s'estimaient différents des autres Gaulois. En outre, de par ses spécificités syntaxiques et réalisations phonétiques atypiques, l'Ancien Aquitain portaient déjà les germes de ce qui différencie aujourd'hui nettement le dialecte gascon des autres dialectes de l'Occitan. Les toponymes en "os" sont de consonance gauloise, ceux en "ates", celtiques. Ils restent cependant peu nombreux, noyés dans le flot de toponymes du parler Aquitain, futur Basque.

Pour le reste l'Aquitaine reste fragmentée. Le caractère indéchiffrable des migrations protohistoriques a vraisemblablement contribué au morcellement des peuples Aquitains. Si bien que lorsque Jules César, 56 ans av-J.C., dénombrera 12 peuples soumis à Publius Crassus, il admettra lui-même que le panel est incomplet, d'autant plus qu'il passe outre les Consorani18 et les Convenes19, liés depuis Pompée à la Provincia Romana et les Lactorates20, amis du peuple Romain. Strabon évoque une vingtaine de peuplades et Pline l'Ancien s'avance jusqu'à 28, dont plusieurs disparus. Quoi qu'il en soit nous tenons pour acquis qu'entre 20 et 30 ethnies coexistaient en Gascogne à l'aube de l'ère chétienne. Ces chiffres ne sont aucunement éxagérés au vu des innombrables subdivisions de ces groupes humains. Ainsi aux Oscidates21 des montagnes (Ossau) correspondaient ceux de la plaine vers Lectoure et Sos. Plus à l'ouest par assimilation les Tarbelli14, déjà cités, et les Cocosates22, semblent plus importants. Selon Strabon, l'horizon de ces peuplades se bornait aux contours d'un canton actuel alors que leurs voisins Nitrioborges Cadurques23 ou Petrocores24 du Périgord contrôlaient déjà un département. S'agissant des Volques Tectosages "De la neige des Pyrénées aux pignadas des Cévennes" (environ 11000 km2). Ce morcellement des peuples aquitains est partiellement dicté par les contraintes naturelles. Ainsi dans les Pyrénées chaque vallée correspond à un peuple (Consorani18 : Couserans, Arani25 : Aran, Onesii26, vallée de la Pique). Mais même hors des montagnes l'exiguïté de vallées mal reliées et parallèles favorise les particularismes. Ce n'est qu'en s'évasant entre des côteaux moins accentués et de vastes étendues labourables que quelques regroupements de populations plus significatifs s'opèrent (Tarbelli14 : Sud de l'Adour, Ausci27 : Auch/Gers, Elusates28 : Armagnac, Lactorates20 : entre Gers et Lomagne). Mais là encore les peuples restent morcelés et le resteront (quoique moins nombreux et ne fût-ce que dans les mentalités, jusqu'à la Révolution Française). Voici pour mémoire la liste des peuples aquitains recensés avant l'arrivée des romains : les Agesinates29, les Basaboïates30, les Beneharnenses31, les Bercorates32, les Boïates33, les Brodates34, les Vasates35, les Cocosates22, les Elusates28, les Iluronenses36, les Lactorates20, les Lascurienses37, les Latusates38, les Onibrisates39, les Oscidates21, les Sibusates40, les Sotiates41, les Tarusates42, les Tolosates43, les Torvates44, les Velates45.

Trois siècles av-J.C. les peuples gaulois descendent vers le sud et s'arrêtent aux portes de la Gascogne (Garonne). Les Bituriges Vivisques46 de Bodeaux s'enrichissent de leur négoce avec Massalia (Marseille). La "civita" gauloise est un état féodal avec un roitelet et un marché qui tend à la tyrannie.

Quoi qu'il en soit et jusqu'à l'arrivée des Romains tout indique que la Gascogne ou Aquitaine n'a connu de marques de civilisation que quelques rites funéraires ainsi que des échanges économiques (sel, fer) et une ébauche d'agriculture au pied des Pyrénées. Il n'en demeure pas moins que les témoignages historiques et la contribution des linguistes accréditent la thèse d'Aquitains fort différents des Gaulois du Nord et parlant une langue spécifique, mère du Basque, et ayant grandement participé de la saveur du Gascon moderne dans l'espace Occitan.

Notes :

1 Strabon était un géographe grec né entre 64 et 65 av. J.-C. à Amasée en Turquie et mort entre 21 et 25 ap. J.-C.

2 Poséidonios d'Apamée est un philosophe grec stoïcien né à Apamée en 135 av. J.-C. et mort à Rome en 51 av. J.-C.

3 Grégoire de Tours, né à Riom ou à Clermont vers 539, mort à Tours vers 594, était un historien, évêque de Tours, spécialiste de l'Église, de l'histoire des Francs et de l'Auvergne.

4 La Glaciation de Mindel fut la deuxième glaciation de l'ère quaternaire, elle court de -650 000 à - 350 000 ans.

5 Le Néanderthalien correspond à la période s'étendant d'environ -250 000 à - 28 000 ans.

6 Le Moustérien désigne l'élaboration culturelle majeure du Paléolithique moyen et de l'homme de Néandertal, sépultures, préoccupations esthétiques pour l'essentiel.

7 L'Aurignacien désigne l'ensemble des éléments de développement humain mis à jour pour la période s'étendant de -35 000 à -30 000 ans. Pour l'essentiel furent exhumées des sagaies à base fendue, des lamelles et des lames retouchées bilatéralement.

8 Le Paléolithique supérieur se situe entre -35 000 et -10 000 av. J.-C.

9 Le Néolithique est une période débutant vers -9 000 ans et s'achevant vers -3 300 avec l'invention de l'écriture.

10 Les Hallebardes de Geay sont des hallebardes du Bronze Ancien, vers -1 800 à - 1 500 ans av. J.-C.

11 Les Boïens dont le nom signifierait "Les terribles" sont un peuple celtique originaire d'Europe centrale.

12 Les Champs d'Urnes ou Civilisation des Champs d'Urne correspond à la période où de nouvelles techniques métallurgiques et céramiques se répandent en Europe entre -1 200 et -700 ans av. J.-C. Elle tient son nom de ses nécropoles d'urnes enterrées recueillant les cendres des morts et des offrandes.

13 La Ténarèze est une voie préhistorique reliant les Pyrénées Centrales et les plaines atlantiques du bassin aquitain sans traverser de ponts et de gués.

14 Les Tarbelli étaient un peuple aquitain habitant le Pays basque Français et la Chalosse et dont la capitale était Dax.

15 Les Succasses étaient un peuple aquitain dont nous savons très peu de choses.

16 Les Pimpedunni ou Bipedimui : peuple aquitain dont nous savons très peu de choses mais que l'on tend à localiser dans le Pays Basque Français vers Saint Jean Pied de Port.

17 Les Volques Tectosages : "peuple qui cherche un toit", peuple celtique originaire d'Europe centrale et installé dans la région Toulousaine.

18 Les Consorani : peuple aquitain ayant pour capitale Saint Lizier, région actuelle du Couserans.

19 Les Convènes : peuple aquitain habitant le territoire correspondant à l'actuel Comminges et dont la capitale était Saint Bertrand de Comminges (Lugdunum Convenarum).

20 Les Lactorates : peuple aquitain de la Novempopulanie, dont la capitale était Lactora (Lectoure).

21 Les Oscidates : il s'agirait de deux peuples aquitains de la Novempopulanie, les uns résidant en vallée d'Ossau (Oscidate montani) et les autres dans la région de Houeillés en Lot-et-Garonne (Oscidate campestres).

22 Les Cocosates : peuple de l'Ancienne Aquitaine dont le territoire s'étendait à l'ouest des Landes entre la Maremne, le Marensin et le Brassenx.

23 Les Nitrioborges Cadurques : peuple de la Gaule Celtique sis dans l'actuel Quercy.

24 Les Petrocores : peuple de la Gaule Celtique localisé dans l'actuel département de la Dordogne.

25 Les Arani : peuple de l'Ancienne Aquitaine habitant l'actuel Val d'Aran.

26 Les Onesii : peuple montagnard de l'Ancienne Aquitaine habitant la vallée de la Pique.

27 Les Auscii : peuple de l'Ancienne Aquitaine habitant l'actuel département du Gers et dont la capitale était Auch.

28 Les Elusates : peuple de l'Ancienne Aquitaine habitant l'actuel département du Gers et dont la capitale était Eauze.

29 Les Agesinates : peuple celte de l'Ancienne Aquitaine ayant vécu près d'Agen.

30 Les Basaboïates : peuple aquitain issu de l'union des Vasates du Bazadais et des Boiates du pays de Buch.

31 Les Beneharnenses : peuple aquitain s'ajoutant tardivement à la Novempopulanie et dont la capitale était Lescar.

32 Les Bercorates : peuple aquitain résidant en Béarn et dont la capitale semble être Aramits.

33 Les Boïates : peuple celte implanté dans la région de la Teste de Buch.

34 Les Brodates : peuple aquitain dont les recherches n'ont pas permis d'établir l'existence (erreur de transcription ?)

35 Les Vasates : peuple important de la Novempopulanie dont la capitale était Basas.

36 Les Iluronenses : peuple aquitain s'ajoutant tardivement à la Novempopulanie et dont la capitale était Oloron.

37 Les Lascurienses : obscur peuple aquitain dont la capitale aurait été Lescar avant l'arrivée des Romains.

38 Les Latusates : pourrait n'être qu'une déformation erronée du nom des Tarusates par Pline.

39 Les Onobrisates : serait une peuplade secondaire de l'Ancienne Aquitaine originnaire du Nébouzan.

40 Les Sibusates : ou suburates ou siburates, peuple aquitain occupant la province basque de la Soule.

41 Les Sotiates : peuple celte d'Ancienne Aquitaine habitant la région de Sos dans l'actuel Lot-et-Garonne.

42 Les Tarusates : ou aturenses, peuple aquitain habitant le Tursan et ayant pour capitale Aire-Sur-Adour.

43 Les Tolosates : étaient probablement une fraction des Volques Tectosages établie près de Vieille-Toulouse.

44 Les Torvates : ne serait qu'une simple variante de Tarusates citée par Pline.

45 Les Velates : obscur peuple aquitain dont rien ne permet pour l'instant d'étayer l'existence.

46 Les Bituriges Vivisques : fraction du peuple celte des Bituriges dont Bordeaux était le chef-lieu.

Annexes

1 Carte des peuples aquitains établie d'après la liste de Pline

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La conquête Romaine en Gascogne

La vigne avant la conquête

Selon Strabon les monts Cévenols séparent deux mondes : à l'est la connaissance du vin rend la vie plus agréable tandis qu'à l'ouest, faute de vin on doit se satisfaire de bière. Les Aquitains habitent ce versant défavorisé du monde antique. Et pourtant ils connaissent le vin grâce aux "mercatores" méditerranéens. Les gaulois raffolent de ce produit au point de justifier quelques incursions en Italie et vont très vite contribuer au développement d'un marché prometteur. Bientôt Narbonne devient un centre de production viticole des Romains qui y introduisent aussi l'olivier. Mais pour fournir la Gaule il devient nécessaire de recourir à la production italienne transportée dans des amphores dites "Italicas". Aussi Narbonne-Toulouse devient une voie de circulation très fréquentée. Les "negotiatores" Romains jouissent des faveurs de la douane. Sous la pression d'un groupe Italien une route du vin est ouverte vers "Burdigala" qui se charge de la redistribution de la liqueur mais étrangement, deux siècles av-J.C. au temps de Cicéron la Gascogne intérieure ignore jusqu'à l'existence de ce négoce. Ses contacts avec la civilisation romaine sont tout au mieux sporadiques. Les fleuves étant les principales voies de pénétration du vin, Cazères en Haute-Garonne fut semble-t-il le premier lieu de rencontre entre Romains et Aquitains. Outre le vin et les amphores les Romains introduisent en Aquitaine un produit de qualité : la vaisselle campagnienne. Tout incline à penser que le mouvement de Romanisation culturelle débuta à cette époque parmi les aristocrates, alliés relatifs (politiquement) et économiquement soumis aux Romains.

La conquête Romaine : de moins 118 à moins 56

Par son relief et son climat la Gascogne est une terre lénifiante et les vertus guerrières des Aquitains sont émoussées par deux siècles et demie de paix. En 118 av-J.C. Domitius Ahenobarbus1 proconsul impose une alliance aux Volques Tectosages et Toulouse, héritant d'une garnison, se soulève avant d'être matée et pillée en moins 106 par Servilius Caepio2. Le territoire est incorporé à la Provincia Romana qui pose un pied en Gascogne et s'avance vers les Ausci. En outre les Romains s'appuient sur leurs suzerainetés Volques du Sud. Mais refusent d'aller plus avant vers les Pyrénées, vectrices d'insécurité. Lectoure se rallie promptement à eux et en moins 55 César mentionne la mort dans les rangs romains d'un Aquitain nommé Pison dont le grand-père avait été roi. Cet homme aurait étudié à Rome et obtenu du Sénat le titre "d'ami du peuple Romain". Quoi qu'il en soit Consorani, Convenes et Lectorates furent très vite soumis aux Romains dans une campagne visant à asseoir Narbonne et n'ayant aucune ambition impérialiste. Les peuples Aquitains conscients de leur division et n'ignorant pas que pour cette même raison, ils ne représentaient pas une menace pour les Romains n'ont pas senti le danger. Toutefois, lors des incursions Cimbres (peuples germaniques) qui ne les affectent guère, la défaite enregistrée par le consul Cassius Longinus3 en pays Agenais en moins 107 leur assûre l'indépendance car les Romains sont obligés de défendre leurs positions. De surcroit, lorsque Sertorius4, général sécessionniste qui dirige l'Espagne leur inflige quelques déroutes, les ducs battent en retraite à travers l'Aquitaine pour rejoindre la Provincia Romana. Troublant le repos des autochtones et dans leur précipitation, ils leur offrent l'occasion inespérée de quelques pillages. César fait état de la déconvenue du proconsul Valerius Preconinus5 et surtout celle du propéteur Manlius6 : En 77 av-J.C., refoulé au Nord des montagnes il est attaqué par les Sotiates et connait un désastre comparable à celui de Cassius Longinus7. Mais s'ensuit une contre-offensive menée par Pompée7 qui après avoir pacifié l'Espagne et fondé la ville vasconne de Pampelune (Pompaelo) fait de Saint Bertrand de Commenges un campement militaire qui recrute jusqu'aux autochtones des montagnes. Ce qui avec les peuples amis du Nord asseoit la "Pax Romana" en Gascogne. L'Aquitaine est prise entre deux feux.

La campagne de Crassus

Seize ans après Pompée la Guerre des Gaules entérine la soumission de l'Aquitaine au cours d'un campagne conduite par Licinius Crassus8, jeune fils de l'allié politique de César dans le Triumvirat. César prend prétexte de venger les humiliations de Valerius Preconinus et de Manlius pour attaquer l'Aquitaine, mais de fait, il entend surtout sécuriser les déplacements des légions Romaines en Espagne. Il souhaite étendre le protectorat Romain à la Gaule toute entière. Fils du "negotiator" romain le plus prospère, Crassus convoitait peut-être les mines d'or des Tarbelli, hypertrophiées par Strabon. César lui met à disposition 12 cohortes (7 000 légionnaires) qu'il renforce de militaires d'élite de Narbonne et Toulouse, se retrouvant ainsi à la tête de 10 à 12 000 hommes. Entreprise à l'automne, en moins 56 av-J.C., la campagne d'Aquitaine dure quelques semaines. D'abord, parti du Nord-Ouest de la Provincia Romana à Lectoure il attaque les Sotiates qui lui opposent des troupes de cavaleries mais semblent ne bénéficier d'aucun soutien de leurs voisins. Ils tentent une embuscade par les plaines mais doivent battre en retraite dans leur oppidum de Sos, une colline entre le Gers et le Lot et Garonne. S'ensuit un siège de plusieurs jours à l'issu duquel le roi Adituanus9 tenta de fuir, en vain. Crassus en profite pour obtenir la reddition des Sotiates et les désarme. Adituanus est pardonné et reste roi. Des bronzes saucés d'argent saluent sa mémoire à Lectoure, Auch, Vic-Fézensac, Aire-sur-Adour et Vieille-Toulouse. La légende Adituanus Rex représente un visage shcématisé par cinq globules virgulés imités des pièces de monnaies des Elusates avec au revers l'image d'une louve inspirée d'un denier Romain de la famille Satrienne, symbole de la soumission au peuple Romain.

Crassus doit ensuite affronter les Vocates et les Tarusates, les premiers proches des Boïates du pays de Buch et du Nord des Landes et les seconds vers le Tursan et l'Adour dans la région d'Aire-sur-Adour. De fait, tous les peuples du Sud et de l'Ouest de la Gascogne, renforcés par des Espagnols et des Cantabriques, le tout sous commandement d'anciens officiers de Sertorius rompus à la tactique Romaine. Conglomérat hétéroclite mais considérable, quoique le chiffre de 50 000 hommes annoncé par César semble volontairement outré. Cette supériorité numérique permet aux coallisés de recourir à une tactique de guérilla pour disperser les forces romaines, les affamer, tromper leur vigilance et les affoler. Sentant le danger Crassus exploite une erreur de l'ennemi qui, fuyant la bataille rangée, s'est retranché "à la Romaine" dans une forteresse de campagne. Fait unique dans toute l'histoire de la Guerre des Gaules, il fait donner l'assaut. Bien que très violente l'attaque frontale piétine et ce n'est qu'une fois la garde aquitaine épuisée que Crassus, jetant ses dernières forces et prenant à contre-pied et à revers l'ennemi, force la décision. La cavalerie romaine décime environ 75% des troupes aquitaines en déroute à travers les plaines entre Aire-sur-Adour et Dax. La campagne du chef de guerre romain fut brève et efficace car les aquitains, initialement éparpillés, se rassemblèrent trop tard. Tout indique que les gascons, conscients de leur morcellement n'aient pas voulu soutenir une guerre de longue haleine et qu'ils se soient résignés. César identifie les onze peuples qui, à l'imitation des Sotiates, firent allégeance à Crassus. On y retrouve presque tous les peuples aquitains jusque-là indépendants : les Vocates, les Cocosates, les Tarbelli, les Sibusates, les Tarusates, les Elusates, les Ausci, les Bigerionnes, les Garumni, les Ptianii et les Gates. Quelques-uns cependant, misant sur le retour prochain de l'hiver, entrent en résistance passive. À ces exceptions près, l'indépendance de l'Aquitaine a vécu. Contemporains, les succès de Pompée en Espagne et de Crassus en Gascogne placent les Pyrénées et leurs cols sous le contrôle des Romains qui fondèrent Dax et Pampelune à cette occasion. Rien ne laisse filtrer la moindre contribution des Aquitains à la révolte de Vercingétorix en -52. Toutefois, il semble qu'ils se soient quelque peu insurgés contre Rome en -39 et -38 et Agrippa10 pilota une brève campagne punitive à leur endroit. Un peu plus tard en -29 et -28, Valerius Messala Corvinus11 fut à la tête d'opérations de police contre des montagnards pyrénéens qui détroussaient voyageurs et convois. Mais la pacification définitive de l'Aquitaine sera un des effets indirects de la campagne Cantabrique d'Auguste12 en -26, -25 conclue par l'érection du Trophée Augustéen sanctionnant le triomphe de Rome en Gaule et en Espagne.

Au final il est remarquable que la Gascogne, qui jusqu'alors n'avait guère connu de la civilisation Romaine que le vin, fut soumise assez promptement et sans grand dommage. Ceci ne vaut pas seulement pour l'épisode de la conquête Romaine mais pourrait bien ressortir d'un trait de caractère du peuple gascon lui-même. En effet lors d'évènements historiques ultérieurs le désir de paix des peuples Aquitains, qui passa parfois pour de la couardise ou de la tiédeur, semble avoir primé toute tentation de violence éxacerbée. Ainsi plusieurs conflits et crises propres à l'histoire de l'Europe ou de la France sont restés étrangers à la rive gauche de la Garonne. Cette tendance lourde gagnerait peut-être à être confrontée au fameux "radicalisme pragmatique", défiance à l'égard des idéologies clivantes, notamment les plus extrêmes, des discours enflammés et de ceux qui les profèrent, opinions politiques modérées, peu affirmées, souvent empreintes de résignation voire de déférence, qui habita très longtemps les paysans gascons.

Notes :

1

(Gnaeus) Domitius Ahenobarbus : (né vers -160), proconsul pacificateur de la Gaule Transalpine

2

(Quintus) Servilius Caepio : homme politique romain, consul en -106, connu pour avoir pillé l'argent et surtout l'or des temples de Toulouse à son profit.

3

(Lucius) Cassius Longinus : consul romain élu en -107, année au cours de laquelle il est tué par les Cimbres près d'Agen.

4

(Quintus) Sertorius : né vers -122, mort en -72, général et homme politique romain, placé à la tête des peuples de l'Hispanie, qu'il tenta de soustraire à la domination de Rome.

5

(Lucius) Valerius Preconinus : Lieutenant romain défait par les Sotiates au cours de la première campagne contre les Aquitains en -78.

6

(Lucius) Manlius : proconsul de la Gaule transalpine mis en déroute par les Aquitains (Sotiates) en -78.

7

Pompée (Gnaeus Pompeius Magnus) : né en -106 et assassiné en -48. Général et homme d'état romain, s'assûra le contrôle de l'Hispanie après avoir défait les troupes de Sertorius.

8

(Publius) Licinius Crassus (Dives) : second fils du triumvir Marcus Licinius Crassus. Il est connu pour avoir obtenu la reddition des Sotiates et de la plupart des peuples aquitains en -56.

9

Adituanus : était le roi des Sotiates et le chef des coallisés aquitains défaits par Crassus.

10

(Marcus Vipsanius) Agrippa : né vers -63, mort en -12. Général et homme politique romain connu placé à la tête d'une campagne pacificatrice en Aquitaine en -39 et -38.

11

(Marcus) Valerius Messala Corvinus : né en -64, mort en -8, connu pour avoir réprimé une révolte des aquitains en -29 et -28.

12

Auguste, né "Caius Octavius Thurinus" en -63, mort "Imperator Caesar Divi Filius Augustus" en 14. Obtint indirectement la pacification définitve de l'Aquitaine au cours de sa campagne Cantabrique en -27 et -26.

13

Les Bigerionnes étaient le peuple habitant l'actuelle Bigorre.

14

Les Garumni ou Garoumnès étaient un peuple aquitain que l'on tend à localiser en Val d'Aran.

15

Les Ptiannii, peuple obscur cité par César que l'on tend à localiser dans la région de Tarsac.

16

Les Gates, peuple aquitain cité par César comme s'étant soumis à Crassus mais résistant encore aux historiens et géographes.

Annexes

1 "Nos ancêtres n'étaient pas les Gaulois" ou l'Aquitaine selon Jules César.

Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur.

Hi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt.

Gallos ab Aquitanis Garunna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit...

Aquitania a Garumna flumine ad Pyrenaeos montes et eam partem oceani quae est ad Hispaniam pertinet ; spectat inter occasum solis et septentriones.

Caïus Julius Caesar, Bellum Gallicum.

L'ensemble de la Gaule se divise en trois parties. Les Belges habitent la première. Les Aquitains habitent la seconde. La troisième est habitée par des peuples qui se nomment Celtes dans leur propre langue et qu'on appelle Gaulois dans la nôtre.

Tous ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les coutumes et les lois.

Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne. Ils sont séparés des Belges par la Marne et la Seine...

L'Aquitaine s'étend de la Garonne aux Monts Pyrénées et à la partie de l'océan qui touche l'Espagne. Elle regarde vers le nord-ouest.

César, La guerre des Gaules, 52 av. J-C

2 L'or des Tarbelli selon Strabon.

Bref, les Aquitains diffèrent de la race gauloise par la constitution physique et par la langue. Ils ressemblent davantage aux Ibères.

Leur pays est limité par le fleuve Garonne. Ils habitent un territoire situé entre ce fleuve et le Mont Pyréné. Le peuple aquitain comprend, en fait, plus de vingt peuples petits et obscurs. La plupart sont proches de l'Océan. Ceux qui habitent l'intérieur des terres vers les contreforts des monts Cemmènes s'avancent jusque vers les Tectosages.

La Garonne grossie de trois fleuves, se jette à la mer entre le pays des Bituriges dits Vivisques et celui des Santons. Ces deux peuples sont gaulois. Les Bituriges sont le seul peuple installé chez les Aquitains qui ne soit pas de leur race. Ils ne leur paient pas de tribut. ils ont un port de commerce, Burdigalla, situé au bord d'une lagune formée par les embouchures du fleuve.

Le pays des Aquitains en bordure de l'Océan est absolument stérile : il produit du mil comme alimentation mais il est très pauvre pour toutes les autres cultures. Il y a là un golfe qui constitue un isthme avec son homologue le golfe galatique qui se trouve sur la côte narbonnaise. Ce golfe est habité par les Tarbelli chez qui on trouve les mines d'or les plus productives de toutes : pour si peu qu'on creuse, on en sort des plaques d'or larges comme la main ; certaines ont parfois besoin d'un petit raffinage ; le reste, ce sont des paillettes et des pépites qui n'ont pas besoin de beaucoup de traitement. L'intérieur des terres et la région montagneuse ont un meilleur sol, soit vers le Mont Pyréné chez les Convènes (ce mot signifie ramassis) où se trouve la ville de Lugdunum et les très belles sources d'eau chaude parfaitement potables d'Onesiae, soit chez les Ausci où le sol est bon.

Strabon, date du texte env : 18

3 La conquête de Crassus narrée par Jules César.

Eodem fere tempore1, P. Crassus, cum in Aquitaniam pervenisset, quae pars, ut ante dictum est, et regionum latitudine et multitudine hominum ex tertia parte Galliae est aestimanda, cum intellegeret in iis locis sibi bellum gerendum ubi paucis ante annis L. Valerius Praeconinus legatus exercitu pulso interfectus esset atque unde L. Manlius proconsul imperdimentis amissis profugisset, non mediocrem sibi diligentiam adhibendam intellegebat.

Itaque re frumentaria provisa, auxiliis equitatuque comparato, multis praeterea viris fortibus Tolosa et Narbone, quae sunt civitates Galliae provinciae finitimae ex his regionibus, nominatim evocatis in Sotiatium fines exercitum introduxit. Cujus adventu cognito Sotiates magnis copiis coactis equitatumque, quo plurimum valebant, in itinere agmen nostrum adorti primum equestre proelium commiserunt, deinde equitatu suo pulso atque insequentibus nostris subito pedestres copias, quas in convalle in insidiis conlocaverant, ostenderunt. Hi nostros disjectos adorti proelium renovarunt.

Pugnatum est diu et acriter2, cum Sotiates, superioribus victoriis freti in sua virtute totius Aquitaniae salutem positam putarent, nostri autem quid sine imperatore3 et sine reliquis legionibus adulescentulo duce efficere possent perspici cuperent : tandem confecti vulneribus hostes terga verterunt. Quorum magno numero interfecto Crassus ex itinere oppidum Sotiatum oppugnare coepit. Quibus fortiter resistentibus vineas turresque egit. Illi alias eruptione temptata, alias cuniculis ad aggerem vineasque (cujus rei sunt longe peritissimi Aquitani, propterea quod multis locis apud eos aerariae secturaeque sunt), ubi diligentia nostrorum nihil his rebus profici posse intellexerunt, legatos ad Crassum mittunt seque in deditionem ut recipiat petunt. Qua re impetrata arma tradere jussi faciunt...

Armis obsidibusque acceptis, Crassus in fines Vocatium et Tarusatium profectus est. Tum vero barbari commoti, quod oppidum et natura loci et manu munitum paucis diebus, quibus eo ventum erat, expugnatum cognoverant, legatos quoque versus dimittere, conjurare, obsides inter se dare, copias parare coeperunt. Mittuntur etiam ad eas civitates Hispaniae finitimae Aquitaniae : inde auxilia ducesque arcessuntur. Quorum adventu magna cum auctoritate et magna cum hominum multitudine bellum gerere conantur. Duces vero ii diliguntur , qui una cum Q. Sertorio omnes annos fuerant summamque scientiam rei militaris habere existimabantur. Hi consuetudine populi romani loca capere, castra munire, commeatibus nostros intercludere instituunt. Quod ubi Crassus animadvertit suas copias propter exiguitatem non facile diduci, hostem et vagari et vias obsidere et castris satis praesidii relinquere, ob eam causam minus commode frumentum commeatumque sibi supportari, in dies hostium numerum augeri, non cunctadum existimavit quin pugna decertaret. Hac re ad consilium delata, ubi omnes idem sentire intellexit, posterum diem pugnae constituit.

Quos equitatus apertissimis campis consectatus ex milium L numero quae ex Aquitania Cantabrisque convenisse, vix quarta parte relicta multa nocte se in castra recepit.

Hac audita pugna maxima pars Aquitaniae sese Crasso dedidit obsidesque ultro misit ; quo in numero fuerunt Tarbelli, Bigerriones4, Ptianii5, Vocates, Tarusates, Elusates, Gates6, Ausci, Garunni, Sibuzates, Cocosates : paucae ultimae nationes7 anni tempore confisae, quod hiems suberat8, hoc facere neglexerunt.

Caïus Julius Caesar, Bellum Gallicum, liber III cap. 20-27

À peu près à la même période, Crassus était arrivé en Aquitaine. Ce pays, comme on l'a dit plus haut, représente par son étendue et sa population le tiers de la Gaule. Voyant qu'il lui faudrait faire la guerre dans des régions où peu d'années auparavant le légat L.Valérius Préconius avait été vaincu et tué, et d'où L. Manlius avait dû s'enfuir en abandonnant ses bagages, il comprit qu'il lui faudrait redoubler de prudence.

Donc, il fit ses provisions de blé, rassembla des auxiliaires et de la cavalerie. De plus il mobilisa individuellement, de Toulouse et Narbonne (cités de la province de Gaule qui sont voisines de l'Aquitaine), un grand nombre de soldats éprouvés. Puis il pénétra dans le pays des Sotiates. À la nouvelle de son arrivée, ceux-ci rassemblèrent des troupes nombreuses et de la cavalerie (qui était leur principale force) et attaquèrent notre armée en marche. Ils livrèrent d'abord un combat de cavalerie, puis leurs cavaliers ayant été repoussés et poursuivis par les nôtres, ils découvrirent brusquement leur infanterie placée en embuscade dans un vallon. Elle fonça sur nos soldats dispersés et ils engagèrent le combat à nouveau.

La lutte fut longue et acharnée. Les Sotiates, forts de leurs précédentes victoires, pensaient que le salut de toute l'Aquitaine dépendait de leur valeur. Nos soldats, en l'absence du général en chef, sans l'aide des autres légions et sous l'autorité d'un tout jeune chef, voulaient montrer ce dont ils étaient capables. Enfin, les ennemis couverts de blessures s'enfuirent. Crassus en fint un grand massacre, et dans la foulée, il tenta d'enlever la citadelle des Sotiates. Devant leur vigoureuse résistance, il fit avancer des mantelets et des tours. Les Sotiates tantôt faisaient des sorties, tantôt creusaient des mines vers nos terrassements et mantelets (ils y sont particulièrement habiles, car il y a chez eux, en de nombreux endroits, des mines de cuivre et des carrières). Mais ils comprirent que la vigilance de nos soldats les empêcherait de rien obtenir par ce moyen. Ils envoyèrent des députés à Crassus et demandèrent qu'il accepte leur soumission. Il accepte, et sur son ordre ils livrent leurs armes...

Après avoir reçu armes et otages, Crassus partit pour le pays des Vocates et des Tarusates. Alors les barbares impressionnés d'apprendre qu'une ville fortifiée par sa situation et le travail de la main, était tombée dans les quelques jours qui avaient suivi l'arrivée de Crassus, envoient de tous côtés des députés, échangent des serments et des otages et entreprennent de mobiliser leurs troupes. Ils envoient aussi des messagers aux peuples de l'Espagne citérieure. Ils en obtiennent des renforts et des chefs. Leur arrivée avec un bon commandement et des effectifs nombreux. Ils choisissent comme chefs des hommes qui avaient été les compagnons constants de Sertorius et passaient pour très experts dans l'art militaire. Ils font la guerre à la manière romaine, occupent des positions favorables, fortifient leurs camps ; nous coupent les vivres. Quand Crassus s'aperçut qu'il ne pouvait pas aisément diviser ses troupes trop peu nombreuses, et que les ennemis, eux, pouvaient aller loin, bloquer les routes tout en laissant au camp une garde suffisante, que pour cela il avait des difficultés de ravitaillement et que chaque jour les ennemis se renforçaient, il estima qu'il ne fallait plus tarder à engager le combat. il soumit la question au conseil, et quand il vit que tous étaient du même avis, il fixa au lendemain le jour de la bataille.

Notre cavalerie poursuivit l'ennemi en rase campagne. Sur les 50 000 Aquitains et Cantabres qui formaient cette armée, un quart à peine en réchappa. La nuit était très avancée quand ils regagnèrent le camp.

À la nouvelle de cette bataille, la majeure partie de l'Aquitaine fit sa soumission à Crassus et envoya spontanément des oatges. Parmi ces peuples on comptait les Tarbelli, les Bigerriones, les Ptianii, les Vocates, les Tarusates, les Elusates, les Gates, les Ausci, les Garunni, les Sibusates et les Cocosates. Un petit reste de quelques peuples, vivant aux confins, se confiant à la saison qui était proche de l'hiver, négligèrent de faire leur soumission.

César, La guerre des Gaules, Livre III ch. 20-27

Notes :

(1) Le début de la campagne de Crassus correspondrait à juillet 56.

(2) On situe le combat dans la vallée de l'Adour.

(3) Il est donc clair que César ne participait pas à cette campagne.

(4) Les Bigerriones occupaient la Bigorre.

(5) À ce jour on n'est pas parvenu à identifier les Ptianii.

(6) À ce jour on n'est pas parvenu à identifier les Gates.

(7) César introduit une restriction lourde de sens : ces peuplades insoumises justifieront une reprise de la guerre en 38-39 puis en 27. En outre, les Aquitains ne s'associèrent pas au soulèvement des Gaulois piloté par Vercingétorix en 52.

(8) Cette précision ne nous autorise pas à conclure que la guerre s'acheva en septembre, l'hiver tardant souvent en chemin en Gascogne.

La Romanisation de la Gascogne

La Novempopulanie, la langue

César souhaitait un empire sans frontière politique et sans discrimination raciale pour une élite. Il créa les Julii à Lectoure et Bordeaux. Auguste, son successeur, après avoir lénifié l'Aquitaine la dote d'un cadre politique et administratif, liant les peuples Lactorates, Convènes et Consorani et ceux soumis par Crassus ; Il reconstitue ainsi la Gascogne primitive et l'inclut dans la grande "Provincia" qui s'étend des Pyrénées aux rives de la Loire et qu'il appelle "Aquitania". Mais les Romains aperçoivent vite qu'ils mélangent des Aquitains avec des Gaulois nettement différenciés par leur nature et leur langue. Aussi l'Aquitaine jouira bientôt de statuts particuliers. En août -12, Drusus13, gendre de l'empereur et gouverneur de la Gaule fait célébrer une messe à la gloire de Rome et d'Auguste. Rome contribue à l'essor d'une aristocratie autochtone vivant des richesses générées par la vaisselle arétine ou le vignoble bordelais dont l'exportation sera très rapidement facilitée. L'acclimatation du cèpage Biturica fut une première en dehors du pourtour méditerranéen. Pour accélérer l'édification d'une élite locale, des collèges romains virent le jour : les "Jovenes" (juvenis/juvenes en latin classique) à Bordeaux, Les "Juvenes a fano Jovis", les "jeunes dévoués à Jupiter" à Agen. Quelques corporations furent créées à Bordeaux et à Saint Béat : forgerons, potiers, menuisiers, cordonniers, cabaretiers. À Saint Béat plusieurs "officinatores" (chefs de chantier) et "marmori" (ouvriers qualifiés). L'onomastique, les fonctions militaires, les charges municipales ont trait aux citoyens privilégiés, principalement des citadins. À Saint Bertrand de Commenges la romanisation de l'élite est plus avancée (un tiers des citoyens recensés ont vécus au 1er siècle ap-J.C. Les fonctions militaires sont peu représentées : deux légionnaires à Auch. Bordeaux est élevé au rang de "Municipium" Romain (élite urbaine fortunée servant les intérêts de Rome). La Romanisation est rapide et profonde, elle fait émerger une élite autochtone sous-jaçante et confortée par l'arrivée des Romains. Trois grands groupes sociaux furent isolés : les aristocrates / les autochtones et les étrangers / les esclaves et les affranchis. L'élite s'apparente à une caste mais pouvant occasionnellement faire montre de générosité : à Saint Bertrand de Commenges Publicius Salonus offre à ses concitoyens des tables et piédestales. À Agen Capito et sa femme, Julia, offrent un corridor avec un mur aux Junons Augustes. Un siècle après Auguste, Trajan, procurateur impérial est placé à la tête des Gaules Lyonnaise et Aquitaine. Lectoure devient centre de perception des impôts des peuples du sud de la Garonne ainsi que d'enrôlement militaire des Aquitains du Sud clairement distingués de ceux du Nord. Revigorés par ces faveurs, bientôt les Gascons se prennent à rêver d'un pouvoir régional. Ils obtiennent satisfaction aux 2èmes et 3èmes siècles ap-J.C. Vespasien14 leur donne Burdigala pour capitale. Ayant Eauze pour capitale, la Novempopulanie naît d'une réforme de Dioclétien15. Ses neufs composantes sont : les Elusates (Eauze), les Tarbelli (Aquenses, Dax), les Aturenses ou Tarusates (Aire-sur-Adour), les Bigerionnes (Bigorre), les Convenes (Saint Bertrand de Commenges), les Consoranni (Saint-Lizier en Couserans), les Ausci (Elimberris/Auch), les Lactorates (Lectoure), les Boïates (pays de Buch jusqu'à Bazas). À une trentaine de peuples aquitains primitifs ne correspondent plus que neuf peuples, neuf cités gallo-romanes jugées primordiales par Auguste pour remédier au morcellement de l'Aquitaine. Pour sa part, Burdigala devance Saintes au rang de capitale de Province au 3ème siècle. Le gouverneur d'Aquitaine, légat de l'Empereur est chef des forces armées et de la police, juge suprême, inspecteur des bâtiments et travaux publics, protecteur des citoyens et tuteur de la ville. Il contribue à romaniser la province. Quelques gouverneurs comptent dans l'histoire de l'Aquitaine : Julius Agricola16, L. Octavius Cornelius17, Salvius Iulianus Aemilianus18, P. Flavius Pudens Pomponianus18. Tous identifiés par leur attention à l'administration financière, l'absence de lois contraignantes et d'une surveillance trop étroite. Aussi l'Aquitaine restera-t-elle fidèle à Rome. Dans les cités des élections ont lieu tous les ans. Au IVème siècle de nouveaux peuples émergent. La notice des Gaule19 mentionne les Benearnenses (Lescar), les Illuronenses (Oloron) et les Vasates (Bazas). La plupart de ces cités gallo-romaines de "stipendiarii". Au temps d'Auguste cependant, les Convènes et les Ausci jouissaient du titre convoité de colonie Romaine qui mettait en exergue une cité autochtone. À Saint Bertrand de Commenges et à Eauze au IIIème siècle, l'organisation municipale ne montre aucune originalité : le pouvoir est réservé aux aristocrates fonciers réunis en conseil municipal inspiré de l'ordre des décurions. En outre quelques magistrats sont renouvelés chaque année : les "Quattuor viri iure dicundo" de Sent Bertrand de Commenges et les "Duo viri" à Auch, Dax, Eauze et en Couserans. On rencontre aussi des quêteurs en charge de l'administration financière à Dax, Eauze et plusieurs cantons "pagi" et bourgs "vici" héritent d'un saupoudrage administratif. Pourtant et malgré la domination des Romains les Gascons n'ont guère changé, ils ont perpétué leurs propres noms indigènes proches du basque, notamment vers les Pyrénées. Ces noms sont vernis de romanisation. Il apparaît aussi que quelques "negotiatores" romains venus en Aquitaine se sont fondus dans la population. Beaucoup d'esclaves grecs ont migré dans la région à cette époque quoique proportionnellement moins nombreux que dans l'ensemble de la Gaule.

Fondamentalement peu affecté, le peuple aquitain va connaître un bouleversement linguistique. En deux ou trois siècles et d'est en ouest depuis Narbonne, le latin, langue des vainqueurs va s'imposer naturellement aux vaincus, d'abord dans les centres urbains puis dans les campagnes. Dans le dialecte Gascon moderne quelques vestiges du substrat aquitain subsistent, surtout vers les montagnes : artiga (Artix, Artiguelouve, Artigeloutan,...) = terrain défriché, friche ; gave (Gabas, Gabaston,...) = torrent, gave ; nauza = prairie marécageuse, Neste = rivière. À Salies de Béarn le "Bayaa" (place du centre-ville) = vallée encaissée et marécageuse. Mais le latin a triomphé partout, évinçant le Gaulois (celte) du Nord et cantonnant le Basque (Ancien Aquitain) dans ses frontières actuelles, un repli des Pyrénées. Mais cette langue a contribué à faire de ces peuplades jusque-là primitives un peuple doté d'une réflexion, d'une sensibilité et capable de s'exprimer, authentique dimension culturelle héritée de Rome. Le goût des aquitains pour l'épigraphie l'atteste, surtout à l'est de la Gascogne et dans les villes : 600 inscriptions en Commenges (davantage qu'à Bordeaux, Auch 100, Lectoure 50, Eauze 20, 18 en Bigorre, 15 à aire-sur-Adour, Lescar et Oloron, 10 seulement dans la région de Dax). Le pays Basque n'a consenti aucune inscription romaine. En outre un goût pour les lettres et la poésie latine se fait jour localement. Le "duum vir" auteur de l'inscription d'Hasparren voulait s'exprimer en vers et une auscitaine a commis une épitaphe remarquable et métrique sur la tombe de sa petite chienne Myia (la mouche) : "Comme fut douce et tendre celle qui, de mon vivant se posait sur mon sein, toujours compagne de mon somme et de mon lit. Quel grand malheur Myia que tu sois morte ! Tu aboyais si quelqu'un se couchait près de moi, rival amoureuse de ta maîtresse. Quel grand malheur Myia que tu sois morte ! Maintenant tu es enterrée, sans conscience dans la profondeur d'un tombeau. Tu ne peux plus te mettre en colère ni bondir. Tu ne peux plus t'amuser à me prodiguer la douceur de tes morsures". Ces vers seraient inspirés de ceux de Tibulle sur le moineau de Lesbie et de ceux de Martial sur la mort d'une autre petite chienne.

La vie économique et sociale

Les pâtres pyrénéens sont parmi les derniers à perpétuer leurs édifications en pierres. Hormi quelques secteurs reculés, de nouvelles tecnhiques de construction sont adoptées partout : mortier, béton, pierres taillées, briques cuites et tuiles. Parallèlement, les agglomérations préexistantes, groupements de cabanes perchées sur les hauteurs dominant un cours d'eau, profitent de la paix intérieure pour doubler leur superficie. Cette évolution se produit un siècle ap-J.C. Ces extensions sont caractéristiques de l'urbanisme romain. Leur construction est planifiée, les rues se coupent à angle droit sur un axe sud-nord (cardo), ouest-est (decumanus) sans la regularité des camps militaires ou d'une colonie Africaine comme Timgad. Les rues sont pavées ou dallées et pourvues de trottoirs et de larges fossés tandis que des aqueducs captent l'eau des sources prisée des romains et les acheminent vers les centres-villes. Celui de Saint Bertrand de Commenges drainait une importante résurgence du trou de Génerest et, relayée par un château d'eau, pouvait fournir à la ville-basse entre 6 000 et 13 000 m3 par jour. Les cités de la Novempopulanie sont dotées de monuments publics quoique manquant d'originalité. Saint Bertrand de Commenges : un forum long de 74 mètres et large de 41 mètres, des places ouvertes, un temple héxastyle de conception romaine, dédié au culte de Rome et d'Auguste avec un autel géant, une grande basilique couverte de 62 mètres de long et 26,5 mètres de large, des thermes publics (bains à vapeur, bains de siège), un théâtre deux fois plus petit que celui d'Arles, un amphithéâtre. Ces édifices sont en béton recouvert de moellons calcaires et de briques. Au IIème siècle on ajoutera un peu de marbre dans les parties nobles. Les maisons de l'aristocratie municipale sont chauffées par hypocauste, parfois aménagées pour le bain. Ces villes ne furent jamais très peuplées : Saint Bertrand de Commenges de 7 à 10 000 habitants, Auch et Lectoure de 5 à 10 000, Bordeaux et Toulouse de 20 à 25 000. Au début de l'ère Chrétienne la plupart des aquitains vivaient de fait en campagne. La romanisation transforme le paysage, nos villages actuels découlent de la villa gallo-romaine : corps de bâtisses, résidence du maître, communs, maisons des "colons" ou fermiers, bâtiments d'exploitation, étables, écuries, grange, four, forge et autres ateliers (Lalonquette en Béarn, Sevinc près d'Eauze, Beaucaire sur Baïse, Cadilhan Saint Clar, Frans, Arnesp dans la vallée de la Garonne). Le maître des lieux ne fut que rarement le descendant d'un conquérant romain mais le plus souvent celui d'une famille indigène anoblie. D'inspiration gréco-romaine autour d'une cour centrale la demeure reflète la condition du maître qui commande à une domesticité nombreuse et à des ouvriers et artisans agricoles dont le statut de servitude n'est pas toujours observé. Une villa peut compter jusqu'à 300 ou 400 personnes voire davantage ce qui favorisa l'édification de fermes de plus en plus éloignées. La villa exploite des centaines ou des milliers d'hectares. Chiragan : 1 000 hectares de terres labourables, 100 hectares de prairies, les friches, les pacages et les bois, peu à peu la demeure prend l'allure d'un palais. Le sol est mis en valeur et identifié par une consonance latine dûe au nom de son propriétaire : anum (an), acum (ac-acq), ossum(os). La villa de Nepotius : Nébouzan (Montmaurin). Les terminologies en ac seront encore plus nombreuses aux IIème et IIIème siècle. Elles demeurent rares là où les terres sont pauvres, essentiellement au Nord des Landes. La récurrence des toponymes en "os" va croissante à l'approche des Pyrénées : Arguènos, Andernos, Bernos, Biros, Biscarosse, Garros, Urdos... Au sud de la Gascogne ces toponymes attestent la résistance autochtone. Mais par delà sa diversité toponymique le monde agraire de la Novempopulanie fit montre d'une unité certaine. Bordeaux tient déjà sa richesse de la viticulture dont elle exporte la production et tend à en retirer une fierté généalogique, embryon d'autorité "virile" et sociale. Un Auguste ayant concédé à la Novempopulanie une certaine autonomie fiscale et financière et les dépendances s'éloignant subrepticement des maisons de maîtres un souffle léger d'émancipation bruissaient alors sur la Gascogne.

Pour quelques notables l'Aquitaine sert de tremplin social. Mais cette promotion sociale est quasiment innaccessible à la multitude. Bien plus que l'enrôlement dans l'armée, le mariage mixte est pour elle une chance inespérée de gravir les échelons. Ces gens de condition modeste tendent cependant à s'enrichir au détriment d'un afflux de main d'oeuvre généré par l'exode rural. En outre, certaines dédicaces semblent attester une forte immigration : Une Trévire belge fut enterrée à Saint Bertrand de Commenges. Mais sur ce plan, Bordeaux, où les étrangers viennent en masse, tira une fois de plus son épingle du jeu. La langue grecque y fut comprise et parlée. Syriens, Espagnols, Bretons, Belges, Germains abondent ce flux migratoire. La Gascogne n'est plus isolée du reste du monde et timidement, un ascenseur social se met en place. Beaucoup d'esclaves furent recensés à Auch, Lectoure, Bordeaux, Périgueux. En Commenges un esclave fit une dédicace à ses compagnons. Romains, parfois Grecs, ils démontrent le lien entre Provincia et Gascogne. Dans les villes les plus romanisées ainsi que chez certains particuliers, les affranchis sont assez nombreux. Ces fonctionnaires enviés accordaient à leur tour ce statut à leurs esclaves. Les affranchis se constituent en collèges de "Sévirs Augustaux20".

En ces temps reculés et précaires la richesse des hommes repose essentiellement sur la terre où viennent des céréales : du millets vers les Landes aux terres indigentes et sablonneuses, du mil dans l'arrière-pays aux sols nettement plus fertiles. Le mil, foisonnant chez les Convènes et les Ausci entrait dans la confection de bouillies. Les écrits de Salvien21 prêtent aux plaines et terrasses de la Garonne ainsi qu'à la vallée du Gers une production de blé en quantité comparable à celle du Toulousain jusqu'au Vème siècle. On exhuma dans une villa de Caudeilhan Saint Clar un moulin à traction animale. Il n'est pas exclu que du blé fût exporté vers l'Espagne pour pallier une famine dans les Cantabrique. Dès le IIème siècle le vin de Bordeaux irrigua la Novempopulanie et dens feuilles de vigne furent gravées dans le marbre des villas comme à Montmaurin. Ceci étant peut-être concomitant d'un début d'extension du vignoble bordelais à l'ensemble de la Gascogne. Mais les nouvelles productions ne supplantent pas l'élevage ni l'exploitation même sporadique de la forêt, ni la chasse, apport non négligeable dans l'alimentation quotidienne d'un Gascon. Les ovins sont déjà très répandus dans les Pyrénées qu'ils partagent avec quelques bovins. En Bigorre on tisse de lourds manteaux de laine très prisés. Dans les collines de Gascogne le cheptel était plus fourni, surtout en bêtes de somme ou de trait. Dans la villa de Chiragan on put identifier une trentaine de paires de boeufs et une quarantaine de chevaux qui approvisionnaient aussi la boucherie. En outre les vestiges retrouvés permettent de soutenir que la population prélevaient peu de gibier.

L'extraction des richesses du sous-sol démarre peu de temps après l'agriculture. Si l'or des Tarbelli était probablement une légende, le fer est exploité depuis le début du millénaire. Les filons de tailles modestes sont disséminés dans la Gascogne occidentale : Pyrénées, Landes. Le minerai est réduit dans des fours rudimentaires. Un industrie métallurgique restreinte se développe en Couserans, Bigorre et dans le Condomois où presque dans tous les villages et bourgades existaient une fonderie et une forge et l'on put confectionner les outils de la vie courante (cultivateur, bûcheron, charpention, charron). En outre le calcaire blanc marmoréen des Pyrénées qui a servi a édifier la ville basse de Saint Bertrand de Comminges et dans les Petites Pyrénées la villa de Montmaurin est exploité dans des carrières à ciel ouvert des environs. Cependant, les Aquitano-Romains prisent le marbre grossier, blanc, gris ou bleuté dont Saint Béat et Sot devinrent un centre de production et qui permettra de sculpter le trophée Augustéen de Saint Bertrand et les hauts reliefs des travaux d'Hercule. On y taille des milliers d'autels votifs (tauroboliques de Lectoure), des bustes funéraires, des auges cinéraires, des colonnes, des chapiteaux, des entablements, des lambris. On retrouvera ces marbres jusqu'à la Loire. D'autres marbres sont moins connus : Aubert en Couserans, la Penne Saint-Martin (vallée de la Garonne dans la Barousse, "Vath Rossa en occitan à Sost), Sarrancolin en vallée d'Aure. Pendant des siècles les marbrières vont rythmer la vie des vallées, terres de pastoralisme, surtout en Comminges. Mais là où la terre est avare en pierres, on optera pour la brique cuite et les tuiles, surtout dans les sols argileux. Les ateliers de brique demeureront artisanaux. Avec la brique quelques ateliers travaillent la céramique comme à Galone où on a confectionné des lampes en surmoulage, de la vaisselle metallescente et cuivrée, des tasses et des gobelets, des vases écoulés dans l'Est de la Province à Saint Bertrand, Auch et Lectoure. Dans ces cités des potiers plus modestes conçurent de la vaisselle ordinaire (plats, assiettes, bols, cruches, pichets, terrines, écuelles, marmites, pots ovoïdes de couleur noire ou grise, rougeâtre inspirée de la protohistoire destinée à une population n'usant que peu de verre ou de métal).

À l'activité économique locale s'est superposée une production destinée à l'exportation qui relie l'Aquitaine à l'ensemble de la Gaule et du monde Romain. La Garonne sert à transporter les marbres, les calcaires ainsi que les amphores de vin depuis Toulouse ville sise sur le point de rupture de charge où la voie fluviale déleste les "viae" pédestres venues de Narbonne par le Lauragais et le seuil de Naurouze. Le trafic impérial fut probablement intense et dès le 1er siècle les céramiques sigillées de Montans ont descendu le Tarn et la Garonne et il n'est pas exclu qu'ils aient remonté les petits fleuves de la rive gauche. Dès le IVème siècle le blé sera transporté sur le Tarn et les rivières Pyrénéennes. Mais en Gascogne, dépourvue de voie navigable, les romains tissent un réseau routier dense et diversifié sur les pistes autochtones. Chaque cité est desservie par des voies secondaires. Simultanément de grandes routes relient la Gaule et l'Espagne : la Table de Peutinger, l'itinéraire d'Antonin, l'itinéraire de Bordeaux à Jérusalem et les futurs chemins de pélerinage du Moyen Âge. La Novempopulanie offre les distances les plus courtes de la Méditerranée à l'Océan et est essentiellement dotée de voies Est-Ouest Toulouse-Lectoure-Bordeaux, Toulouse-Auch-Eauze, Toulouse-Saint Bertrand de Comminges-Lourdes-Lescar-Dax. Il existe cependant quelques recoupes Nord-Sud : Agen-Lectoure-Auch-Saint Bertrand de Comminges. Plus à l'ouest la préhistorique Ténarèze, Lescar-Oloron-Somport-Huesca, Bordeaux-Dax-Pampelune. Certains cols des Pyrénées occidentales ont été rendus carrossables (Somport, Ronceveaux), les autres demeurèrent peu fréquentés. Hormi en montagne où elles furent taillées dans le roc, les "viae" romaines consistèrent en une légère couche de galets ou de blocs chapeautés d'une strate de cailloux et de sable rouillés et ne furent que rarement jalonnés de bornes militaires, ou alors ultérieures comme le milliaire de Labarthe-Rivière et un fragment trouvé sur les remparts daquois. Trois autres milliaires vers Agen : Philippe l'Arabe, Valérien et Gallien et celui inachevé de Carin César (282-283 ap.J-C). Sur la via d'Agen à Saint Bertrand de Commenges furent découverts les deux milliaires de Constance et de Constantin César (305-306) servant de nos jours de bénitiers à Crastes et Castelnau-Magnoac. Enfin un dernier milliaire fut découvert au nom de Maximilien Hercule dans la vallée de Campan. Ces milliaires devaient jalonner les viae du Sud de la Gascogne tous les 1500 mètres en des carrefours et points spécifiques de la via. Par delà cette carence les "viae" de la Novempopulanie étaient pourvues de relais tous les 15 à 18 km et de gites d'étape tous les 52 km par lesquels transitent les courriers officiels, les chevaliers, les voitures, les animaux de bât et les charrois lourds. Ce trafic qui perdura jusqu'à l'avènement du chemin de fer a fait vivre des aubergistes, des palefreniers, postillons, muletiers, convoyeurs et colporteurs et permis d'acheminer les marbres blancs et polychromes pyrénéens, la vaisselle luxueuse de Montans et la Graufesenque, les amphores de vin Italiennes d'Auguste, des huîtres et des fruits de mer de la Méditerranée. Ces marchandises se diffusent généralement d'est en ouest.

Les apports de la Romanisation

Les viae Méditerranéennes contribuèrent à la romanisation de l'Aquitaine (langue, engouement pour l'épigraphie) et malgré un fond ethnique inchangé les hommes s'attachèrent à romaniser leur nom et à se faire naturaliser jusqu'à l'Edit de Caracalla22 qui naturalisa les hommes libres de l'Empire en 212. Les autochtones cherchent à imiter les familles qui obtinrent la naturalisation des grands conquérants (Pompeii, Valerii : Pompée, L. Valerius Messala), Sergii Pauli et Julii. Ainsi sur les 600 inscriptions commingeoises 58% étaient des noms latins, 42% des noms aquitains ainsi que de rares gaulois. Le nombre de patronymes indigènes chute à 22% et 10% à Saint Béat et Luchon et au coeur de la Gascogne. L'onomastique aquitaine atteint 30% à Auch pour 70% latine (dont 1/3 portée par d'anciens esclaves grecs affranchis.) Cependant le degré de romanisation, fût-il uniquement patronominal, resta bien moindre dans les régions pauvres en inscriptions et parmi les strates les plus pauvres de la population. Ceci trahit une binarité des mentalités : une romanisation acquise d'une part et la persistance d'un substrat aquitain d'autre part. À Burdigala ainsi qu'à Saint Bertrand de Comminges on recensa quelques tria nomina. Dans les campagnes la romanisation ne progresse que très lentement. Elle est même indécelable près des Pyrénées. La coutume Celte voulait voulait qu'un individu marque sa lignée en faisant suivre son nom unique de l'indication de celui de son père. Les montagnards observent ces coutumes jusqu'au IIème siècle. Les surnoms autochtones sont alors abandonnés et remplacés par les tria nomina. On dénombre très peu de surnoms aquitains aux abords de la Garonne, mais des surnoms grecs et quelques surnoms Celtes vers Bordeaux. À Auch les noms celtiques sont minoritaires et les noms ibères et pyrénéens dominent (racines et terminaisons en Sem, Mar, And, ex, oss, on, is, e) ainsi ques des noms basques, Orguarra, Bontar, Orcotar, Oro, Bihuotus, Estecen, Odoxo, pouvant tirer leur nom de dialectes Pyrénéens antérieurs au Basque.


C'est dans l'attitude religieuse que l'évolution des mentalités est la plus patente. Le polythéisme aquitain est attesté par des ex-voto et des monuments figés mais une touche d'originalité témoigne d'un archaïsme éloigné de toute eschatologie, cosmologie ou morale. Ainsi, sur une dédicace de Saint Bertrand de Comminges figure Mercure, grand dieu gaulois substitué à Minerve. Ce qui ne signifie pas que la théologie des druides aient éxercé une influence réelle en Gascogne. Le Gascon privilégie les divinités familières qu'il couvre d'offrandes afin de se préserver des maléfices et de s'assurer leur bienveillance. Ces divinités doivent être très proches de lui jusqu'à en être topiques : montagne, sommet, clairière, vallée, village, bouquet d'arbres ou hêtre majestueux. Les fidèles vénèrent pleinement leurs dieux. Sur les carières de marbre de Saint Béat le dieu Erriapus se vit offrir plus de cinquante autels. Ces dieux remontant à la préhistoire Aquitaine furent romanisés sans perdre leur âme. Représentés sous forme humaine sous l'influence de l'anthropomorphisme gréco-romain, ils furent incorporés au panthéon classique (Mars, Mercure, Jupiter) par leurs traits tout en conservant leurs spéficités pour les autochtones. Cette religiosité est renforcée par la fascination qu'exercent les sources d'eau chaude jaillissantes (vie, renaissance) : le dieu Ilixo de Luchon et les Nymphes). Le thermalisme découle de ces croyances qui voulaient que l'eau guérisse par sa force mystérieuse, bienfaisante et divine. Aquae était le nom de ces stations Pyrénéennes : Aquae Tarbellicae (Dax), Cauterets, Bagnère de Bigorre, Vicus Aquensis, Cadéac, Capvern, Ilixo (Luchon). Au nord-est de la Gascogne Castéra-Verduzan, Barbotan. À la foi indigène les romains adjoignirent une thérapeutique utilitaire. Les établissements s'inspirèrent de leurs luxueux collègues italiens, notamment Luchon magnifié par Strabon au Ier siècle. La clientèle en est internationale et Auguste y vint en cure.

Les cultes romains se sont imposés en coulant sur les dieux indigènes l'image à peine modelée des dieux nouveaux. Ce ne sont que des noms inédits pour des principes bien établis : Diane pour les forêts, la montagne et la chasse, Sylvain pour les bois, les pâturages et les troupeaux ainsi que les marbrières. Les épithètes de Mars, Mercure et Jupiter masquent mal l'origine des dieux locaux sur lesquels ils sont greffés. Le panthéon romain fut bien accepté même dans les campagnes. Le niveau social des fidèles, incluant quelques autochtones, trahit la pénétration de la romanisation. Le culte cimente les couches sociales. S'agissant des dédicaces, seul Saint Bertrand de Commenges semble avoir aménagé un concilium spécifique pour les aquitains. Mais les Gascons continuent à célébrer leurs propres dieux que les romains respectent. Ainsi, près des Pyrénées, le surnom de la divinité autochtone a-t-il pu coexister. Jupiter ("le Très bon et Très grand" à Mérignac) s'appelait Beisserisse "le protecteur des voyageurs" à Lescure. "Auctor bonorum tempestatem" pour la clémence des saisons et la réussite des récoltes. Cependant la terminologie de "Jupiter le Très bon et Très grand" reste la plus répandue dans tout le reste de la Gascogne notamment en Commenges (25 autels lui furent dédiés). Il fut adoré par les citoyens romains imités par leurs domestiques et les pélerins (adoration plus politique que religieuse). Par ailleurs Hercule s'appela aussi "Toliaudessus", Mars le "Herenn", "Arixo", "Sutugi", "Lehlunnus", "Dahus". Certaines divinités des arbres (Sex Arbores en Commenges), des monts, des nymphes, des sources, des vents et du soleil ont survécu au prix d'une simple latinisation du nom indigène. De même a-t-on pu attester la combinaison de divinités romaines et indigènes (Diane <=> Horolat, Mercure, Mars, Hercule <=> Sirona) d'une part et des attributions indigènes aux dieux romains d'autre part : Jupiter prend la forme de serpents ou d'une roue, Mercure porte une barbe ou des cornes et présente parfois quatre têtes. Hercule est un serpent aux jambes croisés. Ces hybridations participent de l'avènement d'un véritable panthéon gallo-romain générant une architecture nouvelle inspirées de traditions indigènes rondes ou carrées. Le temple est la "cella", ceinte d'une large galerie pour les processions circulaires, surtout à Bordeaux. Cet esprit de tolérance et cette souplesse permettent aux romains d'ériger les statues de Claude, Trajan, Plotine à Saint Bertrand de Commenges, Marc Aurèle et Faustine à Lectoure, Diaduménien, Alexandre Sevère et sa mère Julia Mammaca à Eauze pour le culte impérial. Seuls les chefs lieux de cités ont dressé des statues aux empereurs. Le culte impérial ne sort pas des milieux officiels. À Bagnères de Bigorre un autel est consacré au Numen Augusti, au Vicus Aquensis à Lectoure. En 176 et 241 les décurions font célébrer des tauroboles pour le salut de Marc Aurèle. À Saint Bertrand de Commenges des prêtres furent chargés d'un culte et des Flamine impériaux requis dans l'aristocratie des Tarbelli et des Elusates. À Auch exista parmi les affranchis un collège de sevirs augustaux unique dans la Novempopulanie. Ces manifestations répondent plus à une manifestation de loyalisme romain qu'à un fort sentiment religieux.

Mais les vallées pyrénéennes qui puisent dans une piété antérieure remontant à des croyances préhistoriques (Basques, Aquitains, ...) localisent leurs adorations : à Caumont en Couserans on célèbre Andèi, à Saint Bertrand de Commenges Aberri, à Tibiran Ilurbirixo. Il existe des sanctuaires modestes comme Herauscorritsche à Tardets, au Dieu Erye à Montserié, à Eriappe à Saint Béat, à Sutugi à Saint Plancard. Ces dieux ne sont pas adorés seuls mais avec un dieu romain car les deux systèmes religieux sont en contact étroit. Et certains romains tels que les Pompée Pauliniani et les Artistii du Commenges pratiquent le culte des divinités autochtones. Le sud de la Garonne jouit d'une grande liberté de croyance et des apports de religions orientales : culte de Cybèle à Labrouquère (Commenges), Chiragan et Bordeaux, mais surtout à Libourne, fortement hellénisée. Procession, sacrifice du bélier ou du taureau, égorgé par le Harpi, régénération du myste dans sa fosse après réception du sang, parfois castration. Au II° et III° siècle la présence des divinités égyptiennes fut attestée : Isis à Auch et Chiragan, Harpocrate à Chiragan ainsi que Jupiter Serapis, Mithra dans la vallée de la Neste. Très tôt apparaissent les inscriptions funéraires romaines. La province est un véritable conservatoire d'attitudes funéraires tombées en désuétude à Rome (le mari et la femme se tiennent encore par la main droite au II° siècle). L'iconographie révèle la vanité des chefs de famille, la coquetterie des jeunes femmes, la grace des enfants tenant des fruits. Quelques traits de hellenistiques sont également isolés à Lectoure où la femme est valorisée voire dirige le culte ainsi qu'à Bordeaux où de surcroît maîtres et esclaves échangent des politesses.

Religion et culte des morts fournissent en effet le prétexte à transactions originales : à Bordeaux les maîtres affranchissent leurs esclaves en échange d'une sépulture (clientélisme Gaulois). Quoique moins nombreux en Gascogne, les notables s'adonnent ainsi à des transferts sociaux et financent l'amélioration des villes. Artistiquement le territoire est à la traine. Ses maisons sont d'inspiration romaine tout comme son urbanisme dont les commodités de circulation priment sur l'esthétique du forum, des monuments civils et religieux, des théâtres et amphithéâtres. La sculpture atteste l'influence romaine sur l'art aquitain. À Bordeaux et Saint Bertrand de Commenges des modes de cour gagnent puis s'effacent : ainsi aux longs cheveux en avant au Ier siècle préfèrera-t-on une coupe très simple sous Trajan23. Au III° siècle on observa des scories grecques sur des monuments couronnés de fronton avec niche allongée contenant un personnage debout. Des effigies de jeunes chefs aquitains perpétuent les coûtumes autchtones. Hormi Amabilis24 à Bordeaux les artistes sont assez gauches et inhabiles. L'art inspiré des thèmes de la protohistoire et préhistoire subsiste dans les vallées pyrénéennes sur des stèles-maisons ou discoïdales. En dehors des Pyrénées l'expression artistique trahit une certaine unification de la Gascogne sans pour autant tarir la production locale. Ausci, Convènes, Lactorates et Elusates entre autres se piquent de piliers et piles funéraires. On assiste à un brassage d'influences méditerranéennes et de résurgences aquitano-celtes. Mais de fait, le chef d'oeuvre artistique incontestable de l'Aquitaine Romaine est né sous la plume d'Ausone25. [ Note : Ausone vécut après la période la plus faste de l'Aquitaine Romaine mais j'ai considéré que son oeuvre du IV° siècle était en quelque sorte le fruit le plus parfait de l'enrichissement culturel d'un peuple après plusieurs siècles de maturation continue. C'est pour cette raison que j'ai décidé de l'évoquer à ce stade de mon propos.] Ausone naît à Bordeaux en 310, aîné d'Emilia Aeonie (de Dax) et de Julius Ausonius (de Bazas). Il étudie à l'Université de Bordeaux dont il deviendra maître prestigieux et poète. C'est un rêveur mais il est aussi doté du bon sens des terriens. Il aime la terre, se prête peu au lyrisme et fait plutôt montre d'un épicurisme nostalgique empreint de fierté ancestrale. C'est un poète-paysan aimant les orages, la grêle et la sécheresse. Sacralisant la nature, les nuées, les migrations, les étés, vouant un culte aux saisons, à l'éternelle renaissance, son oeuvre élude toute considération métaphysique. Ausone est l'antiapocalypse. On lui confie l'éducation de Gratien26 fils de l'empereur Valentinien27. Devenu empereur, Gratien s'enquerra de ses préceptes le nommera gouverneur du prétoire des Gaules. Ausone gouvernera de manière très avisée, remarquable.

Plusieurs siècles durant, l'Aquitaine a grandi sous les ailes bienveillantes de la Pax Romana. Elle mit à profit cette période prospère pour se débarrasser des gangues de la Barbarie protohistorique. Grace à l'unité naissante de la langue, à l'atténuation de sa fragmentation (réduction du nombre de peuples) et à l'amélioration de ses voies de communication, elle a pu se forger une économie compétitive n'excluant pas toute possibilité d'ascension sociale dans une société tolérante et même curieuse de la culture d'autrui, éprise de spiritualité jusqu'à favoriser la multiplication des cultes religieux et l'émergence d'une expression artistique (quoique peu significative) dont Ausone est le porte-flambeau. Or, durant cette même période, l'Empire Romain a déja subi les déferlantes des peuples germaniques, dès 258. Ceux-ci exploitèrent la dégarnison de la frontière du Rhin et descendirent jusqu'à Paris, Reims et Lyon, leurs appétits aiguisés sonnant le glas d'un Empire aux Empereurs peut-être moins glorieux que leurs devanciers et de légions comme lénifiées et rendues moins vigilantes par un illusoire sentiment d'immuabilité. Inéluctablement Rome dut abandonner ses provinces à leur propre chef et dans ce contexte de débâcle générale l'Aquitaine devint assez honorablement adulte.

Notes :

13

(Nero Claudius) Drusus : né en -38, mort en -9, gendre d'Auguste, gouverneur de la Gaule, concéda à l'Aquitaine un statut particulier.

14

Vespasien (Imperator Caesar Vespasianus Augustus), né en l'an 9, mort en l'an 79. Consacra Burdigala capitale des aquitains.

15

Dioclétien, "Gaius Aurelius Valerius Diocletianus", né en 245, mort en 313. Empereur de 284 à 305, sa réforme territoriale donna naissance à la Novempopulanie.

16

(Gnaius) Julius Agricola : né en 40, mort en 93, général, il fut gouverneur de l'Aquitaine de 74 à 76

17

(Lucius) Octavius Cornelius (Publius Salvius Iulianus Aemilianus), il subsiste de grosses incertitudes quant à son identité réelle (homonymie), fut un gouverneur important pour l'Aquitaine sous Hadrien (76-138).

18

P. Flavius Pudens Pomponianus était gouverneur de l'Aquitaine vers 185.

19

Notice des Gaules (Notitia Galliarum) : recueil des différentes appellations des villes et provinces de la Gaule à travers les âges.

20

Sévirs Augustaux : désignait un groupe de six affranchis choisis en fonction de leur richesse et honorabilité pour concourir aux célébrations du culte impérial à partir d'Auguste.

21

Salvien de Marseille : auteur latin du V° siècle.

22

Edit de Caracalla ou "constitution antonine", daté de 212, il accorde la citoyenneté romaine à tout homme libre de l'Empire qui n'en jouissait pas encore.

23

Trajan (Marcus Ulpius Nerva Traianus), né en 53, mort en 117, empereur de 98 à 117.

24

Amabilis : était un sculpteur du bas Empire.

25

Ausone (Decimus Magnus Ausonius) : né en 309-310 et mort en 394-395. Girondin, conseiller politique du Bas-Empire, mais surtout poète renommé de langue latine.

26

Gratien (Flavius Gratianus) : né en 359, mort en 383, empereur de 367 à 383.

27

Valentinien (Flavius Valentinianus) : né en 321, mort en 375, co-empereur de 364 à 375 avec son frère cadet Valens.

Annexes

1 La stèle d'Hasparren actant la naissance de la Novempopulanie :

hasparren

2 Le texte de la stèle :

Flamen item duumvir, quaestor pagique magister Verus, ad Augustum legato munere functus, pro novem populis optinuit sejungere1 Gallos. Urbe redux genio pagi, hanc dedicat aram.

Prêtre, duumvir, questeur ainsi que chef du pagus, Verus fut envoyé en mission auprès de l'Empereur. S'étant acquitté de sa mission, il obtint pour les Neufs Peuples de se séparer des Gaulois. De retour de Rome, il dédie cet autel au dieu de son peuple.

Note :

1 La traduction de ce texte dépend de savoir s'il faut lire se jungere (se joindre) ou sejungere (séparer)...

3 Carte de la Novempopulanie :

novempopulanie

Vers la fin des temps romains

Première invasion germanique :

Epargnée par la première déferlante de 259-260, la Gascogne est touchée de plein fouet par celle de 275 à 282. Les bandes barbares dévalent du seuil du Poitou comme aimantées par les trésors monétaires enterrés à la hâte par les aquitains de la Gironde à l'Adour, dans la haute vallée de la Garonne ainsi qu'à Lectoure. Finalement, entraînant avec elles leur sinistre cortège de pillages et d'outrages, elles n'envahissent que les cours supérieurs de la Garonne, du Gers et de la Save et n'atteignent pas Toulouse. Les sites n'étant pas fortifiés subissent d'autant plus de dégats que leurs richesses sont alléchantes. Les villes furent transformées, reconstruites à la hâte avec les matériaux détruits à la fin du III° et au début du IV° siècle. Paupérisés, les vieux quartiers bénéficient de réfections grossières à Saint Bertrand de Commenges, Lectoure et Eauze notamment. Les villes-basses relèvent la tête dans le courant du IV° siècle avec l'avènement d'un nouvel artisanat tourné vers le marché local. Les années 325 à 350 furent pour les villas de Montmaurin, Séviac, Beaucaire sur Baïse, Cadelhan Saint Clar et de Valentine celles du plus grand faste, l'apogée du marbre et des mosaïques. Quoique tourmenté politiquement ce siècle qui marque aussi le retour de la prospérité dans les campagnes reste donc fondamentalement romain, les bornes milliaires attestant la permanence d'un commerce intensif avec Rome.

Le déclin

Investis par l'aristocratie sénatoriale, Ausone et ses partisans tiennent tous les acquis et conquêtes de leur civilisation pour éternels, à l'instar de Rome, même si dès 360-370, et sans corrélation avec le triomphe du Christianisme, l'essor rural s'essouffle. À Montmaurin une stagnation économique est observée de 364 à 383 sous Valentinien comme à Saint Bertrand de Commenges, Séviac et Lectoure. À la fin du IV° siècle l'agitation et l'angoisse sociales sonnent le glas de la Renaissance Constantinienne.

En 409-410 les Vandales passés par Bordeaux envahissent Bazas, Eauze, Toulouse et Saint Bertrand de Commenges (ce qui restait de la ville basse fut détruit). Les villas de Séviac, Beaucaire sur Baïse, Montmaurin sont incendiées, démolies voire rasées. Depuis la Palestine Saint Jérome28 estime que la Novempopulanie compte parmi les régions les plus touchées. Pour l'évêque d'Auch la Gaule est "comme un bûcher fumant". Trois ans plus tard la première invasion wisigothique, très violente sur l'axe Narbonne-Bordeaux, parachève le tableau. La population fut soumise à leurs lois et dut abandonner durablement les faubourgs et se réfugier dans une enceinte auprès des autorités religieuses et municipales résiduelles. Dans les campagnes elle campa sur les ruines des villas incendiées et l'art de bâtir en dur se perdit pendant plusieurs siècles. Ne goûtant point la civilisation romaine les Barbares tinrent pour sièges les chapiteaux de marbres de Montmaurin, aménagèrent des stalles d'écuries sur les mosaïques de Séviac et enfoncèrent d'énormes pieux dans celles de Beaucaire sur Baïse. Barbares et aquitano-romains enterrèrent leurs morts dans les ruines. Dès le début du Vème siècle, l'accord passé avec l'Empereur Honorius29 en 418 fit des Wisigoths les nouveaux maîtres de la Novempopulanie. Effrayés par les villes les occupants se donnèrent Bordeaux et Toulouse pour capitales tout en fixant chefs et soldats en campagne. Guerriers officiellement au service de Rome ils n'avaient pas à travailler la terre et de ce fait rien ne changea. Au nombre approximatif de 100 000 ils étaient bien trop peu nombreux pour modifier le fond ethnique aquitano-romain, encore moins imposer leur langue. Ils confortèrent la pratique de l'inhumation et terrifièrent une population romanisée de par leur aspect farouche, leurs vêtements de peaux de bêtes et leur arianisme. Reste que si en Novempopulanie la cohabitation fut plus pacifique et prompte qu'ailleurs dûe au moindre nombre de Barbares en qui l'aristocratie aquitano-romaine vit les garants de ses privilèges, l'apport des Wisigoths à l'Aquitaine frise la nullité.

Notes :

28

Saint Jérome ou Jérome de Stridon (Eusebius Sophronius Hieronymus) : né vers 347, mort en 420. Auteurs de nombreux écrits mais surtout connu pour avoir traduit la Bible.

29

(Flavius) Honorius : né en 384, mort en 423, empereur romain d'Occident de 395 à 423.

La reconquête des "Basques" et la naissance de la Gascogne

Après que les Wisigoths ont accompagné la lente agonie puis l'effondrement de l'ère romaine, du début du VII° siècle au X° siècle, les terres sises au sud de la Garonne connaissent une période transitoire mais fondamentale. Les Basques ou Vascons, ceux-là même que les Romains avaient confinés dans quelques réduits des Pyrénées Occidentales, se réapproprient un territoire que leurs ancêtres avaient dominé depuis la protohistoire. Quoique leur apport culturel fût moindre que celui des Romains, il n'en demeure pas moins que certains traits de la Gascogne médiévale et contemporaine leur incombent. Le statut de la femme Gasconne et en tout premier lieu Béarnaise (Fors de Béarn) est celui très enviable pour l'époque médiévale de la femme Basque : la femme Gasconne était en droit l'égale des hommes, elle avait droit d'héritage sans aucune distinction ni même restriction d'âge ou de quelque autre nature, elle avait droit de vote dans les "vesiaus" (cours de voisinage en Occitan gascon, sortes de conseil municipal, de quartier ou cantonnal où les aînés, "cap de casa", garçon ou fille, représentant chaque famille débattaient et votaient des décisions de proximité). (Cf mon article en gestation sur le Système Familial Pyrénéen). En outre elles étaient maîtresses chez elles et pouvaient exercer des fonctions politiques, y compris le pouvoir royal, au même titre que les hommes. En Sorbonne au XVI° siècle on s'évertuait encore à faire admettre scientifiquement que la femme ait une âme.

Les Basques furent bien accueillis par une population qui sentit d'emblée une parenté commune mais leur civilisation présentait des lacunes. Ainsi, leur langue ne connaissant de tradition écrite qu'après la Révolution Française, au Moyen Âge, comme ils tendaient déja à refluer vers les Pyrénées, ils furent contraints de recourir, pour leurs textes juridiques, administratifs et officiels, à la Scripta Bearnesa de leurs frères ennemis béarnais et gascons, l'occitan médiéval étant devenu la première tradition écrite en Europe après le latin. En outre, les Vascons (ou Vascones ainsi que les denommèrent les romains, le V se prononçant alors comme le W de Wales en anglais), habitant la Vasconia, donnèrent par évolution phonétique naturelle du [w] en G ou en B, naissance à deux noms, celui de Basque d'une part, et de Gascon d'autre part, attestant par là-même linguistiquement l'existence d'un seul et même peuple gascon ou basque que seule une lente bifurcation linguistique a pu séparer.

Le riche apport culturel et structurel des Romains (union de peuples fragmentés, organisation politique de la cité, essor économique, nouveau savoir-faire dans les constructions, apprentissage de la vie en communauté, émergence d'une sensibilité artistique et acquisition d'une langue uniformisatrice) combiné à la sensibilité Basque (respect et droits de la femme, recherche d'une certaine indépendance d'esprit) conférèrent à la Gascogne un prestige et une spécificité entretenus par des atouts non-négligeables. Aussi ce territoire durablement à la pointe des idées novatrices eut le mérite de mettre en pratique les principes qu'il avait lentement élaborés : les nobles y avaient des devoirs, notamment celui de respecter leurs sujets et n'hésitaient pas à mettre la main à la terre car le travail des dignitaires n'était aucunement considéré comme rabaissant. La Gascogne ne suivit qu'avec réticence et très tardivement les soulèvements de la Révolution Française. Modéré depuis la Préhistoire, pacifiste malgré son exhubérance, cultivé par les siècles de romanisation, l'authentique paysan Gascon goûte fort peu les grandes idéologies qui ailleurs peuvent transcender les peuples rarement pour le meilleur mais plutôt pour le pire et se réfugie dans un radicalisme inhérent aux gens de la terre, qui savent que les idées restent les idées et que si le champ n'est pas labouré, ensemencé, soigné et récolté, l'hiver ne sera que famine et désolation.

Et "nouste Biarn" dans tout çà...

La présence humaine dans les Pyrénées est attestée il y a environ 500 000 ans, lors des glaciations de Mindel : des chasseurs sachant confectionner des outils et dont le gibier était majoritairement constitué de rennes, cerfs, ours des cavernes, bisons, sangliers, chevaux, rhinocéros laineux. Vers -30 000 ans av-J.C. apparaissent les très habiles Cro-magnons (la flûte d'Isturitz au Pays Basque et la Dame de Brassempouy dans les Landes). Une période glaciaire très accusée sévit jusque vers -15 000 puis le réchauffement voit arriver les Magdaléniens à qui l'on doit les célèbres peintures des grottes de nos régions limitrophes. Vers -10 000 ans le climat a profondément modifié les paysages, les outils se sont perfectionnés, l'homme cuit la terre, commence à cultiver les céréales et domestique les animaux (chien, mouton, cheval, boeuf). Vers -4 000 débute l'âge des métaux, cuivre, bronze puis fer et l'homme dresse des mégalithes. Les premiers béarnais, descendant des Magadléniens, vivent dans des villages comme Asson, Bougarber, Labastide-Cézeracq, Lacq et exploitent déja le sel dont leur sous-sol surabonde. C'est à cette époque que naît le fameux "Cami Saliè". Ils pratiquent la Transhumance et parlent l'Ancien Aquitain. Mais vers -800, les Celtes venus d'Asie et redoutablement armés (épées, lances, javelots, casques en bronze) se répandent en bordure de l'Aquitaine et leur aire s'étend jusqu'en -56 av-J.C., date où les Romains s'attachent à la neutralisation de ce vaste territoire. Après avoir vaincu la résistance héroïque des Sotiates et de leur roi Adiatuan, Crassus se heurte durablement sur celle des aquitains de l'ouest (Basques et Béarnais) qui tinrent trente ans en faiblissant. Ayant pacifié l'Aquitaine les romains fondent Iluro et Benearnum (Oloron et Lescar) ainsi que de nombreux petits bourgs qui sont autant de villages de nos jours (Séméacq, Juillacq, Rébénacq, Sévignacq, Claracq, Pontacq). Ils édifient également des villas gallo-romaines à Lescar, Jurançon, Lalonquette, tracent des routes (Dax-Somport, Benearnum-Toulouse) et incorporent le territoire béarnais dans la Novempopulanie. Les Benearnenses, les Iluronenses et les Vasates ne seront ajoutés à la liste de la Novempopulanie que vers l'an 400.

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