Hommage à ma grand-mère, 2 ans plus tard...
Entre deux pôles se distribue l'humanité, le pôle des architectes et celui des maçons. Aux premiers de rêver, d'imaginer, d'esquisser, de tracer et de tirer au mieux les plans de la société future. Aïeule, le temps t'a manqué pour rêver, tu n'es passée sur terre que pour bâtir et pour donner...
Tu étais née Nancy Caumia de Sainte Suzanne en 1914, fille unique parmi tant de garçons. Avec Pépé vous vous étiez mariés en 1939 et depuis tu étais venue à Hautbernés partager la vie des Camougrand. Vous y eutes quatre poussins. À lui la ferme, les engagements politiques et syndicaux, à toi le combat trop souvent tu du foyer et de la basse-cour.
Une guerre, une jambe brisée et le cancer qui te vola un frère, pire, Jean, ton fils ainé, peu après ma naissance. Plusieurs fois jetée à terre par les accidents et les tragédies, ton amour des survivants et ton sens profond du devoir te portèrent dans les embarras de la vie quotidienne.
Une visite qui tarde en chemin, une mine défaite, très vite ton petit monde cessait de tourner. Et personne ne sut jamais canaliser ces débords d'attention. Mais, bien que de tempérament inquiet, tu ne manquais pas d'esprit et un sourire fleurissait vite tes lèvres. Avec Pépé vous étiez si bien assortis. Quand les propos de ton homme te semblaient quelque peu fumeux pour l'enfant que j'étais, je t'entends encore dire tout en frottant les cuivres ou la cuisinière : " Tais-toi ! Ne vois-tu vas que tu vas l'impressionner ce petit garçon ? "
Quand j'étais malade, tu venais à pieds de Hautbernés au Taa et tu m'apportais ce joli petit ramelet de cognassiers aux fleurs roses que tu avais baptisé "Petit Printemps". Tu chérissais les fleurs !
"Maïboune". C'est le nom dont on pare toutes les grands-mères gasconnes. Mais toutes ne le portent pas aussi dignement. Douce, généreuse, tendre.
À la mort de Pépé, tu tins encore longtemps grande ouverte la porte de Hautbernés et tu y vivotas. Comme une promesse de chaleur et d'amitié au bout du voyage et de la nuit, ceux qui descendaient le petit chemin de Haüguernes voyaient chaque soir briller le phare de ta cuisine.
Hélas, en 2006, ton désir de vivre encore ne put plus lutter contre la vieillesse. L'éclat pâlissant de tes jours se consuma à la maison de retraite et le phare de Hautbernés s'éteignit.
...
Un après-midi dans les parages de Toussaints, quelques années après la mort de Pépé, regardant tout deux passer les grues, spectacle dont tu espérais chaque année le retour. Dans un soupir tu me dis : " Eh oui, les grands-mères aussi sont faites pour partir ". Nous nous sommes regardés. Un voile glissa sur tes yeux comme au ciel passent de lourds nuages. Silence. Puis tu te ressaisis : " va chercher quelques bûches, nous allons nous réchauffer! " Depuis lors, que de tempêtes se sont échinées sur le toit de Hautbernés ! Que d'épidémies sur ton corps vouté, recroquevillé et tremblant ! Mais tu survivais. Et j'en étais venu à me demander si tu n'avais pas menti. Adiu Mairòta, que t'aimi tan...